Résumé de la 40e partie n La femme du chauffeur morte, ce dernier reprit le chemin avec Daoul'makân. Ils arrivèrent bientôt aux portes de Damas où ils trouvèrent chameaux, caisses et esclaves destinés à El-Nemân. Lorsque Daoul'makân eut entendu ces paroles, ses yeux se remplirent de larmes et il se récita doucement ces strophes : «Si les amis du loin accusent mon silence et l'interprètent mal, comment pourrai-je répondre ? «Si mon absence a usé et tué en eux la vieille amitié, que me restera-t-il à faire ? «Et si je prends mes peines en patience, moi qui ai tout perdu et l'énergie, pourrai-je toujours répondre du restant de ma patience ?» Puis il se tut un instant, et ces vers lui chantèrent à la mémoire :«Il leva sa tente et s'en alla ; très loin il s'en alla fuir mes yeux qui l'adoraient. «Il fuit mes yeux qui l'adoraient, alors qu'il faisait frémir toutes mes entrailles. Le beau s'est au loin en allé ! O ma vie ! Mais mon désir est là et ne s'est point au loin en allé ! «Hélas ! hélas ! te verrai-je encore, ô beau ? Alors quels reproches longs et détaillés ne te ferai-je pas ?» Lorsque Daoul'makân eut fini ces strophes, il pleura. Alors, le bon chauffeur lui dit : «O mon enfant, sois donc raisonnable ! C'est à grand-peine que nous avons fini par te faire regagner la santé, et tu vas maintenant retomber malade de toutes ces larmes que tu verses ! Calme-toi, de grâce, et ne pleure plus, car ma peine est grande et j'ai bien peur pour toi d'une rechute !» Mais Daoul'makân ne put se retenir encore et, tout en pleurant au souvenir de sa s?ur Nôzhatou et de son père, il récita ces vers admirables : «Jouis de la terre et de la vie, car, si la terre reste, ta vie ne reste pas. «Aime la vie et jouis de la vie et, pour cela, pense que la mort est inévitable. Jouis donc de la vie ! Le bonheur n'a qu'un temps, hâte-toi ! Et songe que tout le reste n'est rien. «Car tout le reste n'est rien ; car, en dehors de l'amour de la vie, tu ne recueilleras que vacuité et inanité, sur la terre ! Car le monde doit être comme le logis du cavalier voyageur. Ami, sois le cavalier voyageur de la terre !» Lorsqu'il eut fini de réciter ces vers, que le chauffeur du hammam avait écoutés extatiquement et qu'il essaya d'apprendre en les répétant à plusieurs reprises, Daoul'makân se mit à réfléchir pendant un certain temps. Alors le chauffeur, qui ne voulait pas l'importuner, finit par lui dire : «O mon jeune maître, tu penses toujours à ton pays et à tes parents, je crois !» Daoul'makân dit : «Oui, mon père ! Aussi je sens que je ne puis plus rester un instant de plus dans ce pays-ci et je vais te faire mes adieux et partir avec cette caravane par petites étapes, sans me fatiguer trop, et j'arriverai de la sorte avec elle dans Bagdad, ma ville.» Alors le chauffeur du hammam lui dit : «Et moi avec toi ! Car je ne puis point te laisser seul ni me séparer de toi et, comme j'ai déjà commencé à être ton gardien, je ne veux pas m'arrêter maintenant en chemin.» Et Daoul'makân dit : «Qu'Allah te rende ton dévouement en bienfaits et en toutes sortes de dons !» Et il fut extrêmement réjoui de cette bonne fortune. Alors le chauffeur pria Daoul'makân de monter sur l'âne et lui dit : «Tu resteras sur l'âne, pendant le voyage, tant que tu voudras ; et quand tu seras fatigué de cette pose, tu pourras, si tu veux, descendre et marcher un peu.» (à suivre...)