La campagne ne sera pas épargnée. Soucieux de se rallier la masse des paysans, le régime entreprit sa révolution agraire. Un projet de 1 000 villages socialistes fut mis en chantier. Il devait être le vitrine du régime. Des villages aseptisés, toujours prêts à recevoir les équipes de télévision et où il était formellement interdit d?élever des animaux domestiques. Disposition assez bizarre pour des paysans. Beaucoup d?entre eux désertèrent, au point que le ministre de l?Intérieur eut pour mission de les ramener manu militari à leur village, en 1975. La révolution agraire sonna le glas de ce qu?il restait comme valeurs dans nos campagnes. Les paysans ne produisaient presque plus rien, se contentant de contracter des emprunts bancaires, d?acheter des voitures, de faire la fête. C?était la notion qui leur avait été inculquée de liberté et d?indépendance recouvrée. Il fallut procéder à des importations massives de fruits et de légumes pour faire manger les gens. Dans les universités, dès le début des années 1970, la protesta des étudiants sera matée avec une brutalité choquante. L?Unea sera dissoute, les cellules clandestines estudiantines seront infiltrées par les agents du régime. De nombreux étudiants seront arrêtés, torturés, exclus. D?autres seront retournés, grassement rétribués, envoyés faire des études à l?étranger et deviendront des nervis du système. Un travail de conditionnement, d?imprégnation et de récupération de la dynamique estudiantine sera entrepris à la faveur de la révolution agraire et de très nombreux étudiants se jetteront à corps perdu dans des actions de volontariat, avec la conviction qu?ils servaient une authentique révolution. Ce fut le temps des slogans menteurs et autres «soutiens critiques». La boucle fut ainsi bouclée et le régime s?acheta une longue période de tranquille dictature. Le parti unique mit en place un vaste filet de surveillance et de canalisation de la population, jusque dans les usines, les administrations et les quartiers. Les organisations de masse prolongeaient la politique d?embrigadement et de vigilance. Les Algériens ne faisaient même plus semblant de travailler. La manne des hydrocarbures était là pour donner le change et laisser croire que le pays baignait dans la prospérité. Les produits dits de première nécessité étaient soutenus par l?Etat. Un incroyable gaspillage s?ensuivit. Les pays limitrophes en profitaient plus que nous et des fortunes colossales, liées à des pontes du système, naquirent du trafic qui en résultait. Personne ne savait encore que les apprentis sorciers venaient de faire le lit de ce qui sera, plus tard, la violence politique et le terrorisme. La facture à payer, pour ces années de mensonge, sera exorbitante.