Mission n De 9 h à 19 h, ils n'ont pas le droit de nager. Ils veillent sur la vie des autres, ceux qui s'adonnent à toute sorte de folie au bord de la mer et au large. Ses yeux balaient l'horizon. Ses paupières ne se ferment presque pas. A gauche, à droite puis à droite, à gauche, tels des essuie-glaces, il fait son travail : surveiller. A ses pieds, deux petits garçons barbotent gaiement dans l'eau, loin de leurs parents qui se reposent, insouciants, évoquant sans doute les choses de la vie devant une glacière et une cruche, sous un parasol les protégeant d'un soleil torride. Dans les eaux calmes et chaudes, une flopée de filles et garçons redoublent de plongeons, d'acrobaties et de gestes aquatiques d'une rare beauté, mais non dénués de danger ; par exemple faire des plongeons au risque de se briser le crâne dans une crevasse à un mètre et demi de profondeur, ou alors encourir un télescopage aux conséquences dramatiques avec un autre nageur tout aussi audacieux qu'imprudent. Dans la cohue indescriptible des baigneurs de tous âges et surtout de toute musculature, un adolescent, au torse brillant, s'improvise surfeur sur un long tronc d'arbre, se laissant glisser sur les petites vagues. Il pousse des cris folâtres pour meubler son temps et faire l'intéressant devant les filles, des sirènes qui se dispersent vite face à ceux qui tentent de les noyer. Mais dans ce micmac, la notion de danger, pour un surveillant de baignade, communément appelé chez nous maître nageur, varie selon les attitudes des baigneurs. «Quand on met le sifflet dans la bouche. Les gens comprennent vite qu'il faut cesser de faire des gestes inutiles. Quelquefois, ils comprennent notre attitude par un simple signe», résume Walid, un trentenaire qui porte une casquette rouge, celle des surveillants vacataires. Mais il se passe aussi des moments où le surveillant sort son «coup de gueule» pour remettre de l'ordre dans les rangs d'un groupe de jeunes téméraires qui, par leurs plongeons et leurs acrobaties, mettent les autres dans une situation embarrassante. «Heureusement que ce n'est pas toujours la guerre», ironise-t-il. Le véritable danger, le grand, est à venir dans cette journée superbement ensoleillée. Alors que tout ce beau monde se partage paisiblement de petites parcelles d'eau verdâtre et truffée d'algues, un maître nageur, juché sur le mirador, lance l'alarme à coups de sifflet. Ce n'est pas un noyé qu'on va assister. Ce n'est pas un cadavre qu'on va repêcher, mais plutôt une catastrophe qu'on va éviter. Des jet-skis, franchissant les balises dressées à une soixantaine de mètres pour délimiter l'espace réservé à la baignade, foncent à une vitesse folle dans toutes les directions, zigzaguant et faisant de dangereuses manœuvres, comme si les pilotes étaient sur une piste de formule 1 où seule la vitesse doit l'emporter sur tout. Même sur la vie d'enfants qui, aidés de leur père, apprennent dans leur innocence à se maintenir sur l'eau, comme des grands. Le danger est bien réel. Le surveillant en chef alerte, à l'aide d'un talkie-walkie, les gardes-côtes basés à Zéralda. «Ils seront là dans trois minutes maximum», nous assure-t-il.