Guillaume R. naît dans l'Ain au début des années trente. Son père est un métayer sans gros moyens financiers. Sa mère, sèche et autoritaire, veille à son éducation avec de grands principes et de bonnes taloches. Elle n'hésite pas, pour faire entrer dans la tête de son rejeton les bons enseignements de la vie chrétienne, à le frapper, parfois même avec le manche de la fourche. Aucun retard ne lui est jamais permis. Ni à l'école ni à la messe. Guillaume file droit. Mais à quinze ans, ses parents ne peuvent plus subvenir aux frais d'études presque supérieures, Guillaume doit se résoudre à travailler. Après tout pourquoi pas ? Il est intelligent, habile de ses doigts, sérieux, honnête. Il fait son petit bonhomme de chemin dans un domaine où les bons spécialistes se font rares. Il aurait aimé devenir pilote de l'armée et se retrouve simplement spécialiste de l'électrification des voies ferrées. Dès l'âge de dix-huit ans, il se marie. Avec Ginette, une fille qui sait ce qu'elle veut, autoritaire comme l'était la mère de Guillaume. Comme d'habitude, il est docile et a besoin d'une femme qui le gouverne, qui l'aiguillonne, qui décide à sa place, qui le pilote. Cela le conduira à sa perte... Sa spécialisation et ses qualifications lui font faire, entre dix-huit et cinquante-huit ans, le tour du monde des voies ferrées à électrifier : Zaïre, Istanbul, Algérie, Toulouse, Limoges, Guadeloupe, Burkina-Faso, Côte-d'Ivoire, Givors, Albertville. Lorsqu'il pose enfin son sac à terre, comme on dit dans la marine, il en est à son cinquante-sixième déménagement. Mais il aime le mouvement et comme Ginette lui a donné trois beaux enfants, on peut dire que la vie de Guillaume est bien remplie, pleine d'images colorées du monde, avec un beau palmarès professionnel et des économies appréciables. A présent, en 1984, le couple éprouve le besoin de se fixer en France, le plus près possible de sa région d'origine. Mais, pour garder le contact avec les autres, pour voir défiler le monde à défaut de le parcourir, Guillaume, que les années ont empâté et qu'on surnomme bien vite le Gros, poussé par Ginette, décide d'acheter un bar à Grenoble. Ils sélectionnent une affaire à leur goût. Hélas ! Elle se révèle mal située puisque, très rapidement, le couple est exproprié. Avec l'argent du dédommagement, Guillaume et Ginette, forts de leur première expérience, se lancent dans une opération de plus grande envergure et empruntent pour faire l'acquisition d'un autre café, situé en plein centre-ville. Emprunt difficile à trouver. Le Crédit Lyonnais refuse, une autre banque, heureusement, accepte de leur prêter 800 000 F. Gros Guillaume et Ginette ne manquent pas de courage. Mais soudain, la catastrophe est là. Ginette se plaint de douleurs, de migraines épouvantables, elle est prise de faiblesses. Examens, radios, le verdict des médecins qui tombe, implacable. Ginette, la forte femme, est atteinte d'une tumeur au cerveau, inopérable. Aucun espoir ne reste. Alors commence pour Guillaume un calvaire affectif, psychologique et physique. A la douleur de voir la femme de sa vie souffrir et se diriger inéluctablement vers la mort, s'ajoute la détresse de devoir, pour la première fois de sa vie, prendre toutes les décisions du couple. De plus, les douleurs de sa femme et les soins constants qu'elle réclame de jour comme de nuit imposent à Guillaume un rythme de vie auquel il résiste mal étant donné son âge et son tempérament. Il doit constamment courir pour l'aider, la soigner. Les nuits sont entrecoupées, réduites en miettes. A suivre