En 1979, un jeune Libanais, Malik H., appelons-le ainsi, fraîchement débarqué à Bordeaux de son pays en pleine crise, s'inscrit à l'université à titre d'étudiant étranger. Il présente bien, c'est un beau brun dont le front se dégarnit légèrement et dont le regard respire l'intelligence. Il poursuit ses études avec un acharnement que lui envieraient bien des Français. Il a de l'ambition et, l'avenir le démontrera, il est prêt à tout pour arriver à faire une grande carrière dans la branche qui le passionne : la chirurgie. Pourtant, ses espoirs sont limités. Les étudiants «étrangers» n'ont pas de perspectives très brillantes dans notre pays. Malik, donc, termine son cycle d'études par un CU (Certificat universitaire), ce qui ne lui permet pas d'exercer la médecine en France. Malik, qui porte toujours un prénom typiquement libanais, se fait, en 1981, naturaliser français. C'est un avantage, mais c'est aussi un inconvénient majeur car, désormais, il ne peut plus continuer à suivre la filière réservée aux étudiants étrangers. Malik, cependant, n'en produit pas moins, devant les responsables des études, une «attestation sur l'honneur de nationalité libanaise»... Déplorable manque de sens moral, contagion des mœurs orientales qui règlent tant de problèmes par l'à-peu-près, la combine, le faux-semblant. Malik poursuit ses études par la filière des étrangers, filière où les places sont moins chères. Il a raison car, en 1983, il obtient un nouveau certificat universitaire, celui de chirurgie... Il poursuit son petit bonhomme de chemin... à l'orientale. L'année suivante, muni de ses deux certificats, il obtient un poste de remplacement dans l'hôpital de S..., joli chef-lieu du Sud-Ouest. Par un tour de passe-passe, il arrive à convertir ses deux certificats «pour étrangers» en un doctorat, ce qui fait nettement plus sérieux. Ce doctorat ne lui permet pourtant pas d'exercer dans une autre discipline que celle de la médecine générale. Malik, aussi entreprenant que bon étudiant, sollicite du Conseil de l'ordre la reconnaissance de sa qualification de chirurgien... Petit à petit, le drôle d'oiseau fait son nid. Mais les instances supérieures du Conseil de l'ordre ne se laissent pas impressionner : elles refusent absolument de transformer ces deux certificats universitaires, devenus doctorat, en l'indispensable CES (Certificat d'études supérieures) qui ferait de Malik un chirurgien français à part entière, certificat que les titulaires n'obtiennent qu'après dix à douze ans d'internat. Les membres du Conseil précisent même leur opinion en interdisant à Malik de «faire état de toute qualité chirurgicale». Et vlan ! Décision draconienne qu'ils justifient en alléguant le manque d'expérience du candidat... Nous sommes déjà en 1991. Pendant ce temps-là, Malik, tout en attendant le résultat de ses démarches, ne perd pas son temps sur le terrain, dans l'hôpital de S. Depuis plus de sept ans, le «remplaçant» au charme oriental opère à tour de bras... Les habitants de la ville et des environs n'ont d'ailleurs pas à se plaindre de son coup de bistouri — de ses coups de bistouri, puisque plus de mille personnes, chaque année, se retrouvent soumises à ses soins. Bien que l'hôpital en question compte trois autres chirurgiens diplômés, Malik à lui seul monopolise plus de la moitié des interventions... (à suivre...)