Résumé de la 12e partie n Se faire passer pour malade était le seul moyen permettant à Shamsennahar de revoir son amant. Abalhassen vola à la maison de son ami ben-Bekar. Et il frappa à la porte, que le portier vint ouvrir, et il entra et trouva son ami entouré d'un cercle nombreux de médecins de toute espèce et de parents et d'amis ; et les uns lui tâtaient le pouls, les autres lui prescrivaient chacun un remède différent et absolument contraire, et les vieilles femmes renchérissaient encore là-dessus et jetaient sur les médecins des regards de travers, si bien que le jeune homme sentait son âme devenir toute petite à force de se rétracter d'impatience ; et, à bout de forces, pour ne plus rien voir et rien entendre, il enfonça sa tête sous les couvertures en se tamponnant les oreilles de ses deux mains. Mais à ce moment Abalhassan s'avança à son chevet et l'appela en le tirant doucement, et lui dit en souriant d'un air de bon augure : «La paix sur toi, ya Ali !» Il répondit : «Et sur toi la paix et les bienfaits d'Allah et Ses bénédictions, ya Abalhassan ! Fasse Allah que tu sois porteur de nouvelles aussi blanches que ton visage, ô mon ami !» Alors Abalhassan, ne voulant point parler devant tous ces visiteurs, se contenta de cligner seulement de l'œil à ben-Bekar ; et lorsque tout ce monde-là fut parti, il l'embrassa et lui raconta tout ce que lui avait dit la confidente et ajouta : «Tu peux être toujours sûr, ô mon frère, que je suis à ta dévotion absolue, et que mon âme t'appartient tout entière. Et je n'aurai de repos que lorsque je t'aurai rendu la tranquillité du cœur !» Et ben-Bekar fut tellement touché des bons procédés de son ami qu'il en pleura de tout son cœur et dit : «Je t'en prie, complète tes bontés en passant cette nuit avec moi, pour que je puisse m'entretenir avec toi et distraire ma pensée torturante !» Et ben-Bekar ne manqua pas d'acquiescer à son désir, et resta près de lui à lui réciter des poèmes et à lui chanter des odes d'amour d'une voix atténuée, tout près de l'oreille. Et tantôt c'étaient des vers que le poète adressait à l'ami, et tantôt c'étaient des vers sur la bien-aimée. Or, voici d'abord, entre mille, les vers en l'honneur de la bien-aimée : «Elle perça du glaive de son regard la visière de mon casque, et pour toujours attacha mon âme à la souplesse de sa taille. Toute blanche à mes yeux elle apparaît, avec le seul grain de musc qui orne le camphre de son menton ! Si, effrayée soudain, elle tremble, les cornalines de ses joues se muent en la pure pâleur des perles ou la matité du sucre candi ! Si, chagrinée, elle soupire en appuyant la main sur sa poitrine nue, ô mes yeux ! racontez le spectacle que vous voyez ! «Nous voyons, disent mes yeux, une nappe candide où se posent cinq roseaux ornés chacun au bout de rose corail !» O guerrier, ne crois point que ton glaive bien trempé puisse te sauvegarder de ses paupières alanguies ! Elle n'a point, il est vrai, de lance pour te percer ; mais crains sa taille droite ! Elle ferait de toi, en un clin d'œil, le plus humble des captifs !» Et encore : «Son corps est un rameau d'or ! Et ses lèvres de grenade sont parfumées de son haleine.» Mais c'est alors qu'Abalhassan, voyant son ami excessivement ému par ces vers, dit : «O Ali, je vais te chanter maintenant cette ode que tu aimais tant à soupirer, à côté de moi, au souk, dans ma boutique ! Puisse-t-elle mettre un baume sur ton âme blessée, ya Ali ! Ecoute donc, mon ami, ces paroles merveilleuses du poète : «O viens ! L'or léger de la coupe est admirable sous le rubis de ce vin, ô échanson ! Eparpille vers le loin tous les chagrins du passé et, sans songer à demain, prends cette coupe où boire l'oubli et, de ta main, ah ! grise-moi complètement. (à suivre...)