Résumé de la 2e partie n Sutterlin, devenu espion confirmé, se voit confier la mission d'approcher Eleonor Heinz, qui a accès à des documents classés «top secret» et qui intéressent les Russes. Prokhorov a fouillé la vie de cette femme, étudié son comportement, comme si le personnage lui appartenait, le dépouillant de ses secrets les plus intimes, de ses amours, de ses déceptions... C'est assez horrible, mais Sutterlin est devenu un espion modèle, froid, indifférent à cette indécence morale. La seule chose qui le préoccupe, c'est pourquoi on l'a choisi, lui. «Sa psychologie, que nous avons étudiée pour déterminer les moyens de pression utilisables et ses réactions éventuelles face à des situations déterminées, nous a conduits à vous.» «L'acheter ? Il ne faut pas y compter. Trop honnête, et elle n'a pas de gros besoins. Trop courageuse pour céder au chantage. D'ailleurs, pour la faire chanter, il faudrait fabriquer un motif de toutes pièces et ce serait très difficile car elle est intelligente et méfiante. J'ajoute que le simple fait de la contacter comporte certains risques. Comme tout le personnel de cette administration, elle est tenue d'informer immédiatement le service de sécurité de ce qui se passe dans sa vie sociale, familiale, de ses problèmes de santé, et des personnes qui entrent en relation avec elle...» Sutterlin fait la moue : «Dans ces conditions je ne vois pas comment je peux réussir… — Le défaut dans la cuirasse de cette femme, le seul, c'est son sentimentalisme. L'un de nos psychologues a fait d'elle un portrait parfait, en la qualifiant même de midinette tardive. — Quel curieux diagnostic… En clair ? — L'unique chose qui puisse l'aveugler, lui faire perdre le sens du réel, c'est l'amour... — L'amour ? Vous y allez fort… — Beaucoup plus que vous ne semblez l'imaginer, mon cher Sutterlin... Car votre mission est claire, et voici les ordres : vous vous rendez à Bonn, vous tombez amoureux de cette femme, en simulant évidemment, et vous l'épousez ! Elle s'appelle Eleonor Heinz. Mes félicitations, Sutterlin !» Décembre 1959. Sutterlin vit donc à Bonn, capitale politique de l'Allemagne de l'Ouest. Le don juan espion a alors trente-cinq ans, quelques cheveux gris sur les tempes qui ajoutent à son charme. En ce mois de décembre, il fait un froid démoralisant, mais Sutterlin est en pleine forme. Un bouquet de roses rouges à la main, il sonne à la porte d'Eleonor Heinz. Il ne l'a pas encore rencontrée, cette «midinette tardive», selon les critères du KGB. La femme qui lui ouvre est entre deux âges, cheveux châtains ternes, taille moyenne, des lunettes. Une robe noire, un modeste collier de perles sur un décolleté chaste, une apparence austère. «Oui ? — Euh, excusez-moi, je cherche mademoiselle Eleonor Heinz. — C'est moi, monsieur... — Ah bon ? Il doit y avoir une erreur alors. excusez-moi... — Quelle erreur ? Je suis Eleonor Heinz ! — Mais… bon… alors vous n'avez pas une sœur ? — Non, monsieur.» Sutterlin, en homme courtois et galant, son bouquet à la main, semble très embarrassé... «Je... pardon de vous poser la question, mais vous vivez seule ici ? — Bien entendu... — Alors je suis désolé. Vraiment désolé...» (à suivre...)