Dans un village lointain vivait une petite famille composée du père, de la mère et de deux enfants, un garçon et une fille. Une profonde affection attachait parents et enfants, et leur existence était pleine de charme. Or, un jour, la mère tomba malade et mourut. Guidé par l'espoir de donner à ses enfants une seconde mère, le père s'empressa de prendre une seconde femme. C'était une veuve, elle-même mère d'une fille. Les espoirs paternels furent immédiatement déçus ; car, dès son arrivée, la marâtre privilégia en toutes choses sa fille au détriment de ses beaux-enfants. Elle ne lavait pas leur linge sale, leur confiait les tâches les plus pénibles, les battait pour un rien et ne leur donnait presque rien à manger. Comme leur père vivait également sous la férule de la méchante femme, ils enduraient toutes les brimades avec résignation. N'ayant personne à qui faire part de leurs souffrances, ils allaient chaque jour au cimetière et pleuraient longuement sur la tombe de leur mère. Leur unique consolation était la vache que leur défunte mère leur avait laissée, une belle vache grasse aux mamelles lourdes d'un lait chaud et nourrissant. Ils la soignaient avec amour et, chaque fois qu'ils avaient faim, lui prenaient les pis et se régalaient de son lait. Bien que leur ordinaire se composât principalement du lait de la vache, les deux enfants se développèrent harmonieusement et, de jour en jour, s'épanouirent davantage, ce qui ne manqua pas de contrarier fortement la marâtre ; car sa fille, bien que gâtée et dorlotée sans relâche, dépérissait à vue d'œil. – Comment ces deux misérables font-ils pour se porter si avantageusement, alors que toi, ma fille, tu es jaune comme le narcisse, dit-elle à sa fille. Tu vas les suivre pas à pas et tu mangeras de tout ce qu'ils mangeront, car je veux que tu pousses comme eux. La fille de la marâtre emboîta donc le pas aux deux enfants. Elle ne tarda pas à découvrir leur secret ; elle les vit s'approcher de la vache et la téter. Conformément aux recommandations de sa mère, elle voulut en faire autant, mais la vache, jusque-là docile, ne se laissa pas aborder. La fille insista. Alors, la vache s'énerva et lui envoya un grand coup de sabot qui lui creva un œil. En voyant dans quel état la vache avait mis sa fille, la marâtre, plus cruelle que jamais, rossa à mort ses beaux-enfants, puis elle appela son mari et, fulminante, lui ordonna d'aller tout de suite vendre la maudite bête. (à suivre...)