Accusations Un mot qui fait peur : «mandataire». C?est celui qui, dans ce marché de gros, fait la pluie et le beau temps. Vendredi, 7h, le ciel commence à se dégager sur Rovigo. Une longue procession de camions, camionnettes et tout genre de véhicules particuliers font la queue devant l?entrée principale du marché de gros des fruits et légumes. Des immatriculations d?horizons divers : Mostaganem, Tlemcen, Chlef, Boussaâda, Tizi Ouzou, Bordj Bou- Arréridj, Sétif? 200 DA pour une petite parcelle de terrain, un trou de souris, dans un parking boueux. Evidemment, le misérable billet de banque va être calculé sur le prix de revient, au même titre que les 7 DA donnés au porteur sur chaque caisson. A l?entrée, une cargaison de courgettes fait frémir les bourses. 55 DA le kilo ! Ramadan est déjà là. Le patron, adossé à un mur, fume tranquillement sa cigarette du matin. Les acheteurs défilent, mais ne trouvent pas mieux que leur courgette verte et fine, la meilleure à faire écouler dès le premier jour du mois sacré. Le mois de la rahma. Non loin de la courgette, la carotte venue de Boussaâda inonde une partie du marché. 35 DA. Le prix est bien loin des 26 DA de la veille. «Certes, elle est de meilleure qualité, mais tout de même c?est excessivement cher, je serai obligé de la vendre à 45 ou 48 DA», avance un jeune vendeur des fruits et légumes venu d?El-Harrach. Mais comment, en l?espace de 24 heures seulement, un produit comme la carotte passe-t-il de 26 à 35 DA, soit une avance de 7 DA sur la seule place du gros ? «Le marché c?est une bourse, il y a le principe de l?offre et de la demande. Comme durant les premiers jours de Ramadan les gens consomment beaucoup, les prix augmenteront automatiquement», ajoute-t-il. La tomate a pris, elle aussi, son envol. La rouge, celle qu?on déverse dans une casserole pour préparer une succulente chorba, est proposée à 36 DA, tandis que la verte, celle des salades, est proposée à 53 DA ! «Du jamais-vu», s?insurge un autre vendeur en détail, avant d?ajouter : «Je suis obligé de m?approvisionner, pour ne pas condamner les citoyens». L?oignon flirte avec les 35 DA et risque d?atteindre ,au plus tard demain dimanche, la barre des 40 DA. «De l?oignon à 35 DA, c?est de l?oignon, ce n?est pas de la poire», ironise-t-il. Un seul mot revient sur les lèvres pour décrier cette terrible flambée des prix : mandataires. «Ce n?est ni l?agriculteur, ni le vendeur de gros, ni le vendeur de détail qui sont responsables de l?augmentation. Le premier responsable c?est le mandataire», avertit un jeune vendeur de cigarettes qui, visiblement, connaît beaucoup de choses, qui pourtant ne le concernent pas outre mesure, au sujet de cette grande bourse à ciel ouvert qu?est le marché de Rovigo. «Demandez-le à tout le monde. Ce sont eux les premiers à incriminer». En posant la question de savoir qui est le véritable maître du marché à un vendeur de gros, il assène : «Ce sont les mandataires. Eux, ils ne produisent rien, ils ne font rien mais prennent un gros pourcentage sur la marchandise, qu?il pleuve ou qu?il neige, que les produits soient vendus ou jetés à la poubelle». Au marché Rovigo, ils sont une dizaine à faire la loi. Et chacun à son propre champ d?action. Celui qui se charge de la pomme de terre n?a rien à voir avec celui en charge de la courgette, celui des olives se contente des olives. Mais tous ont le même profil : ils régulent à leur guise le marché. Et les agriculteurs sont-ils au-dessus de tout soupçon ? «Les agriculteurs ont la terre à labourer et à travailler, ils ne prennent pas plaisir à faire d?incessants allers et retours. Ils préfèrent prendre une petite marge bénéficiaire en jouant sur la quantité», ajoute-t-il. Et que dire d?un navet? à 32 DA, ou de la salade loin d?être gracieuse à 20 DA. Rayon fruits, la mercuriale atteint son paroxysme. Les pommes royales à 90 DA, les poires à 75 DA, le raisin «dattier» à 72 DA. De telles fourchettes ne sont pas pour faire du Ramadan, le mois de piété, une occasion pour déguster savoureusement les pétillants mets. Trois heures après, on ferme boutique, on se dépêche de répondre à l?appel du muezzin. Hier, c?était vendredi, demain c?est Ramadan.