Récits n Comme ailleurs dans le monde, les anthropophages, les cannibales hantent les contes algériens. Mais ne sont-ils pas les vestiges de pratiques cultuelles anciennes ? Après avoir rapporté des échantillons de récits, nous nous poserons toutes les questions sur le sujet. On est habitué à l'image de l'Africain ou de l'Amérindien mangeur d'hommes, que la littérature des missionnaires chrétiens a répandu, dans le but de justifier le massacres des populations dites «païennes». L'histoire du mot cannibale est, dans cette optique, très révélateur. Selon les spécialistes, le mot aurait été inventé par Christophe Colomb, le conquérant de l'Amérique. En fait le mot a été forgé à partir d'un mot de la langue awarak que Colomb a dû entendre : cariba, «hardi, sans peur et, au figuré, «homme cruel et féroce» : comme le mot présente une analogie avec le latin carnis «chair», il a pensé aussitôt, avec ses préjugés d'Européen sur les «sauvages», qu'il s'agissait de mangeurs d'hommes. Un rapport a été établi plus tard avec les cinocéphales, les «hommes-chiens» qui, selon les voyageurs européens, tel Marco Polo, vivaient en Inde et se nourrissaient de chair humaine. Non seulement ces images sont, la plupart du temps fausses, le cannibalisme ayant été beaucoup plus un fait cultuelle, c'est-à-dire rattaché à des pratiques religieuses, qu'une habitude culinaire. De plus, cette pratique n'a pas été spécifique à quelques peuples ou quelques continents, mais universellement répandue, ainsi que semblent le montrer les expressions imagées que l'on retrouve dans toutes les langues. Les verbes signifiant manger, dévorer, sont associés à de nombreuses expressions, telles «manger la tête» ou «le corps» de quelqu'un, au sens de lui faire du mal ou de le tuer. Les mythologies fourmillent de récits de cannibalisme. Ainsi, rien que pour reprendre la mythologie grecque, on rencontre des épisodes comme celui de Chronos, qui dévore ses enfants ou encore du Cyclope, vaincu par Ulysse. Il ne s'agit que de mythe, de récits fabuleux, mais comme le pensent les mythologues, il est très probable que ces récits aient été inspirés par des rites archaïques, encore en usage à la période où ont été forgés ces mythes. Les religions anciennes, pratiquées pourtant par des peuples dits «civilisés» comme les Grecs, les Egyptiens ou les Phéniciens, comportaient des sacrifices humains et des rituels anthropophagiques. La liturgie catholique elle-même comporte un rite de ce genre, l'eucharistie, où le sang et le corps du Christ, sont donnés à «boire» et à «manger» aux fidèles sous forme de vin et de pain sans levain, que le prêtre tend durant la communion. Il est vrai que l'eucharistie a surtout un sens mystique, le fidèle communiant avec son seigneur, mais c'est bien l'image d'un festin qui est figuré ! Ce sont les contes qui perpétuent le mieux l'image de l'anthropophage, sous la forme de l'ogre et de son épouse, l'ogresse. Mais il y a, aussi, outre ces personnages monstrueux, des personnages humains qui, pour une raison ou une autre, consomment de la chair humaine. C'est ce que nous allons voir dans des récits relevés dans le folklore algérien... (à suivre...)