Résumé de la 13e partie n Les récits mettant en scène des parents cannibales sont très répandus dans le monde, mais le personnage anthropophage le plus répandu est l'ogre. Avant d'aborder l'anthropophagie dans l'histoire, nous allons d'abord l'évoquer dans la légende et dans le mythe qui sont, comme on le sait, les plus anciens témoignages des croyances humaines, son école de pensée et, bien entendu, des bribes de son histoire. Dans la plupart des cultures humaines, l'image de l'anthropophage se confond avec celle de l'ogre, qu'en Algérie on dénomme ghoul et awaghzan. L'ogre est un personnage de conte, donc de récits fictifs, mais nous verrons que pour ce qui est de nos traditions, on pense qu'ils ont réellement existé, voire qu'il en existe encore dans les montagnes escarpées et les forêts. Nous rapporterons notamment un récit aurésien du XIXe siècle et un témoignage kabyle plus récent. Commençons par quelques remarques sur le nom de l'ogre et de sa femelle, l'ogresse. En français, en anglais et dans d'autres langues, le nom est ogre, féminin, ogresse (ogress en anglais). On a longtemps cru que le mot était une déformation du mot hongrois. On sait que les Hongrois appartiennent par leurs origines et celles de leur langue au groupe finno-ougrien et qu'après de longues migrations, ils se sont mêlés à des populations turques et mongoles, vivant dans les steppes au nord de la mer Noire. Ce n'est qu'à la fin du IXe siècle de l'ère chrétienne qu'ils se sont fixés dans les grandes plaines du bassin pannonien et, à la fin du premier millénaire, se convertissent au christianisme. Auparavant, ils ont fait trembler Rome et le monde chrétien, notamment lors des invasions dites «barbares», avec les Huns. Même si les Huns se sont illustrés par des cruautés, les spécialistes pensent que le mot «ogre» ne provient pas de Hongrois mais plutôt du mot latin orcus, ancien dieu de l'enfer, devenu une dénomination de l'enfer. Ces monstres sauvages et anthropophages méritaient bien ce rattachement à l'enfer ! Le mot arabe utilisé en Algérie pour désigner l'ogre est ghoul, féminin ghoula. Il provient du classique ghoul, pluriel aghwâl et ghilân, mot désignant également un ogre, mais une sorte de démon, qui guette les voyageurs sur les routes, les surprend et les dévore ensuite, en commençant par les pieds. D'une façon générale, le mot s'emploie pour désigner tout démon malfaisant qui peut prendre toutes les formes possibles, humaines ou animales, pour tromper ses proies, ainsi que tout ce qui peut survenir, de façon inattendue, à un voyageur dans le désert. Par métaphore, ghoul désigne le malheur, l'accident, l'événement néfaste qui surprend et désole. Tous ces mots doivent être rapportés au verbe ghâla, qui signifie «emporter, enlever subitement un être humain ou une chose, faire périr...» L'idée d'enlever, de saisir, se retrouve dans le nom berbère le plus répandu de l'ogre et de l'ogresse, amza, tamza, que l'on retrouve dans les dialectes algériens et marocains : les mots proviennent, en effet de la racine amez' «prendre, saisir», l'ogre étant celui qui surprend et qui emporte. Signalons que ghoul est passé dans les langues européennes sous la forme goule, mot désignant une sorte de vampire femelle, dévorant les cadavres dans les cimetières. Le kabyle se singularise par des termes propres : awaghzen pour l'ogre et teryel pour l'ogresse. Ces mots apparaissent comme des noms propres, Waghzen étant le nom d'un village en Kabylie même et d'un groupe ethnique à Ghadamès, en Libye. (à suivre...)