Scène n La générale de La Grotte éclatée a été donnée, hier, mercredi au Théâtre national. Adaptée du roman de Yamina Mechakra (du même titre) par Hayder Benhocine et mise en scène par Ahmed Benaïssa, la pièce revêt un caractère psychodramatique exprimé dans un langage schizophrénique. C'est l'histoire d'une femme, seule et isolée du monde extérieur, et dans sa solitude emprunte de psychose délirante, elle crée son univers à travers lequel elle passe par différentes situations psychiques pour devenir, en fin de compte, le personnage principal. Se créent également dans son monde des personnages qui retracent sa vie, son passé et son présent. Dans ce monde psychique qui, par une volonté intérieure, se matérialise, viennent se mêler la réalité et la fiction jusqu'au paroxysme du délire. La folie devient ainsi raison. La pièce se révèle, de par sa composition scénique, complexe et, parfois, déroutante tant le jeu des comédiens, notamment des deux protagonistes féminins s'avère ardu et emmêlé. En effet, la difficulté – et la nécessité – dans la performance scénique, c'est de rendre le jeu mené par la conscience de la femme (Malika Belbey) identique à celui mené par la femme elle-même (Lynda Salem). C'est donc jouer d'une même façon donnant ainsi cette illusion qu'il s'agit d'un même personnage. Car, faut-il le préciser, il y a un dédoublement du personnage de la femme, personnage à la fois matériel et psychique. La complexité du jeu est d'autant accentuée par un jeu imprévisible et par une musique perplexe, que par une lumière générant une névrose et un décor à connotation mentale. Celui-ci apparaît, à première vue, simple et littéral. Il se trouve cependant qu'il porte une signification imagée. ? ce propos, Halim Rahmouni, scénographe, qui a reconnu dans le texte sa complexité et sa profondeur puisqu'il est difficile, selon lui, de contrôler l'émotion ou de la matérialiser, esquisse, à travers le décor, une tentative consistant à servir l'espace scénique, créant ainsi des paraboles, disons des métaphores pour mieux aider à la compréhension de la pièce. Le décor est composé, au milieu et au fond de la scène, d'une armoire, et d'un côté une chaise à bascule surplombée, à côté, d'un luminaire, et de l'autre un coffret en bois. Au centre, un cercle où les deux protagonistes que compose la femme atteinte de schizophrénie se meuvent et évoluent. L'élément représentatif, voire métaphorique du décor, c'est bien l'armoire parce qu'elle s'ouvre ; et en s'ouvrant, c'est le subconscient de la femme qui, longtemps refoulé, fait surface. La femme nous est montrée, d'un bout à l'autre de la pièce, dans la pénombre, assise sur sa chaise. Elle parle. Elle évoque sa vie, son passé qui, tumultueux et douloureux, jaillit dans le présent. En remémorant des fragments de son existence, la porte de l'armoire s'ouvre. C'est le subconscient qui se matérialise. Une femme en sort et fait son apparition sur scène. C'est la schizophrène quand elle était jeune. Plus tard, la porte de l'armoire s'ouvre une seconde fois, et c'est un homme qui est projeté du psychisme de cette dernière, et à qui elle lui donne différentes identités : il est tantôt Kouider, Tantôt Saleh, tantôt le père, l'époux, le frère ou l'amant… Les deux personnages devenant réels, palpables, s'associent à celle qui les a créés pour parler et dialoguer. Tous les trois entrent – même si cela n'est point prémédité – dans une folie obsessionnelle. C'est toute la douleur et la souffrance de la femme qui traversent la pièce, la ponctuent violemment. l S'exprimant sur le travail d'adaptation, Hayder Benhocine a souligné que la pièce remonte à plusieurs années. «Il y a quelques années, j'ai adapté le roman à l'écriture scénique, d'ailleurs j'ai fait, en 2002, à l'institut d'art dramatique, une lecture de cette version en présence de la romancière, initiative qu'elle a appréciée et soutenue», a-t-il dit, précisant que ce n'est pas tout le roman qui est soumis à un travail de dramaturgie. «J'ai pris seulement quelques fragments du texte», a-t-il expliqué, reconnaissant que le texte est complexe, d'autant qu'il comporte une grande part de poésie, sachant que la conversion de la poésie à la scène se révèle ardue, voire délicate, d'où la nécessité de présenter sur les planches un travail aéré et souple. Pour sa part, Ahmed Benaïssa a, dans un premier temps, avoué ne pas avoir lu le livre. «Je ne vous cache pas que je n'avais pas lu avant le roman. C'est vrai que j'ai connu, il y a longtemps, Yamina Mechakra, car nous avons eu des amis communs, mais je n'ai pas eu l'occasion de la lire», a-t-il dit. Et d'ajouter : «Dès que Hider Ben Hocine m'a suggéré le texte, j'ai aussitôt adhéré à l'adaptation.» «Cette pièce adaptée d'un roman qui est d'actualité, est un hommage à l'écrivaine», a-t-il dit dans un deuxième temps, soutenant que «La Grotte éclatée est une œuvre littéraire extraordinaire car elle transcende le temps.»