Mikad, rentré chez lui, n?était plus qu?un corps sans âme, la tristesse l?avait envahi. Souvent, il venait sur la grève et regardait au loin. ? Pourquoi es-tu triste ? lui demanda, un jour, le cygne blanc. Mikad lui raconta la merveille de la forêt lointaine. Sous un sapin au milieu de cette forêt se cache une petite grotte et dans cette grotte un écureuil casse des noisettes dorées dont les fruits sont des émeraudes. ? Ne te tourmente pas, lui dit le cygne, je connais cette histoire. Il se peut même qu?il s?y cache un peu de vérité. Le cygne battit lourdement des ailes et disparut. Le jeune homme s?apprêtait à faire demi-tour quand, soudain, il s?arrêta pétrifié. Un très haut sapin se dressait devant les portes du palais. Dans ses racines entremêlées se trouvait l?entrée d?une grotte, d?où sortait la tête d?un petit écureuil qui cassait des noisettes dorées contenant des émeraudes brillant de mille feux. Déjà les gens se pressaient autour et la foule murmurait d?excitation. Mikad remercia le cygne blanc de ce merveilleux cadeau et ordonna au meilleur de ses architectes de bâtir une maison transparente de pur cristal pour le petit animal. Des gardes se relayèrent à son entrée jour et nuit. La plus travailleuse des servantes de la cour reçut pour tâche de soigner le petit écureuil, de lui procurer de douces noisettes et de lui préparer de délicieux gâteaux au miel. Le gardien du trésor en personne eut l?honneur de compter quotidiennement les émeraudes. Il y en eut très vite tant et tant que, posées les unes sur les autres, elles formèrent une véritable colline. L?île brillait comme seul le soleil peut le faire. Les marins qui passaient au loin s?interrogèrent sur cette étrange clarté qui les forçait à se protéger les yeux. ? La mer aurait-elle pris feu ? demandait l?un. Est-ce une éruption volcanique ? demandait l?autre. Autant de questions qui restèrent sans réponse jusqu?à ce qu?un tir de canon, leur ordonna de venir jeter l?ancre au port, leur fit reconnaître la ville aux tours blanches et aux coupoles dorées, la cité du seigneur Mikad. Comme la première fois, les marins furent invités au palais et Mikad se montra curieux de leurs aventures. ? Le voyage a été bon, raconta le capitaine. Nous avons acheté sur les rives du Don un troupeau entier de chevaux et, poussés par les vents, nous naviguons à présent vers le pays du roi Dhia, à l?est de l?île Bayan. ? Transmettez mes sincères pensées au grand roi, dit le jeune seigneur en souriant tristement. Les marins se régalèrent d?un somptueux festin, puis le jeune Mikad les raccompagna jusqu?au port. Il resta longtemps à regarder le bateau s?éloigner et, quand celui-ci disparut à l?horizon, une larme chaude coula de ses yeux et tomba dans la mer. Le cygne blanc apparut aussitôt. ? Pourquoi es-tu triste ? lui demanda-t-il. ? Mon père me manque, répondit le jeune homme. Je voudrais tant revoir son visage. ? Rien de plus simple. Je vais te transformer en mouche et tu pourras voler jusqu?au bateau. Le cygne battit des ailes et arrosa le jeune homme d?une pluie argentée. Mikad se transforma aussitôt en insecte et alla se cacher dans une fente de la coque du bateau. Le vent fut propice et le voilier arriva bientôt à bon port. Les marchands et les courageux marins furent invités au palais. La petite mouche vola à leur suite. Dans la vaste salle dorée, tous s?inclinèrent devant le grand roi Dhia. Mikad remarqua l?infinie tristesse de son père, son regard sombre, qui exprimait une profonde solitude. En revanche, la maligne cuisinière, qui avait toujours l??il gonflée par la piqûre du moustique, ainsi que sa s?ur la fileuse et la vieille Oum El-Kheir se rengorgeaient de leurs positions à la cour. Le roi salua aimablement les navigateurs et les emmena lui-même vers les tables richement garnies. Au cours du dîner, ils les interrogea sur leur voyage. ? Depuis le temps que nous parcourons les mers, nous avons vu beaucoup de choses étonnantes, raconta l?un des marins, mais cette fois une merveille nous a coupé le souffle. (à suivre...)