Avant d'atterrir au centre de Sidi-Moussa, il y a un peu plus d'un an, ammi Abdallah a galéré. Il faut dire que la vie ne l'a pas gâté, loin s'en faut. Son histoire est particulièrement pathétique. En dépit de ses 80 ans, ses cheveux blancs et sa démarche chancelante, il dispose encore d'une lucidité à toute épreuve. Il se souvient des moindres détails de sa vie, de ses premiers pas au douar de la région de Tébessa, qui l'a vu naître vers la fin des années 1920, à sa condition de gardien de parking au quartier de Belcourt à Alger en passant par ses hauts faits d'armes en Indochine, dans les années 1950, où il fut affecté par l'armée française, avant de déserter, pour rejoindre les rangs des révolutionnaires dirigés par un certain Hô Chi Minh. Mais avant de connaître l'enfer de la jungle vietnamienne, notre brave bonhomme a surtout connu les affres de l'errance dans les principales villes de l'est algérien et de Tunisie. A l'âge de dix ans, il a dû fuir le domicile familial pour échapper à l'acharnement de son beau-père. «Il me battait sans cesse, sans motif», se souvient-il non sans une pointe d'émotion. Il trouve tout de même la force de continuer : «Un jour, j'ai découvert qu'il n'était pas mon vrai père. Ma mère, en l'épousant, était enceinte de quelques mois. Mais elle n'a pas souhaité me divulguer la véritable identité sur mon géniteur, malgré mes supplications. J'ai alors décidé de fuguer pour ne plus revenir.» Après quelques mois d'errance, le petit Abdallah sera recueilli par une famille aisée qui le chargera, de faire paître ses troupeaux. Mais il ne tardera pas à renouer avec la vie de la rue. Adolescent, il vivotera de petits métiers à Annaba et Tunis, entre autres, avant qu'un copain lui fasse la proposition de s'engager dans l'armée. Après l'instruction, il est envoyé en Indochine où la guerre faisait déjà rage entre les forces d'occupation françaises et les combattants du Viet-Minh. Après seulement quelques mois de service, notre héros déserte. L'arrogance des officiers français était plus qu'il ne pouvait supporter. Aussi, blessera-t-il grièvement l'un d'entre eux et part retrouver les insurgés. Après la victoire de Diên Biên Phu, il décide de rester au Viet-Nam. Son retour au pays se fera après l'Indépendance, en 1964. N'ayant pas de famille, il s'installe à Alger où il se fera gardien de parking durant de longues années. Vous l'avez compris, le vieux Abdallah n'a jamais eu le temps ni les moyens de fonder un foyer. Et c'est tout naturellement que les policiers qui l'ont découvert par un matin glacial de l'hiver dernier, gisant par terre à la suite d'une chute accidentelle à Belcourt, le conduisirent au centre d'accueil de Sidi-Moussa…