El-ghoula ne fit de lui qu?une bouchée. Assouvie, elle retourna dans sa tanière pour dormir. Mais le matin, très tôt, elle se réveilla. Elle avait rêvé toute la nuit de l?appétissante petite maison qu?elle avait entrevue la veille. El-ghoula à toutes jambes revint au village. Comme il était encore tôt et que tout le monde dormait, elle s?approcha de la maisonnette du puîné, donna un gros coup de poing sur la toiture et le nougat se brisa en mille morceaux. «Pour ma petite Aoura, je vais remplir mon sac de cet excellent nougat !», grogna l?ogresse. Quand elle eut fini de ramasser le nougat, elle fit de même avec le chocolat. C?est alors qu?elle découvrit le deuxième frère endormi, digérant sans doute ses friandises. Elle l?avala goulûment et disparut dans la forêt. Le lendemain, elle revint dans l?intention de dévorer le troisième des frères. Elle essaya d?abord d?un revers de la main, puis d?un coup de poing de démolir la toiture mais rien n?y fit ; alors elle employa ses fameux crocs pour arracher le toit. Bien mal lui en prit ! El-ghoula se cassa les dents et revint à la forêt blessée et affamée. Elle essaya une seconde fois, une troisième fois et à chaque essai elle perdait soit une dent soit un ongle. El-ghoula comprit alors qu?il fallait utiliser la ruse pour capturer le benjamin. Un matin, elle se rendit donc chez H?didouène. « Ne t?ennuies-tu pas enfermé ainsi à la maison ? demanda l?ogresse d?une voix qu?elle voulait doucereuse. Le figuier dans le jardin de ton père croule sous le poids de grosses figues ; allons donc ensemble en cueillir !» «Je voudrais bien, répondit H?didouène, mais les figues se cueillent le matin à l?aube. Demain tu déchireras, aux aurores, ton panier et je déchirerai le mien. Puis après, tu recoudras ton panier et je recoudrai le mien ; alors ensemble nous irons cueillir les figues du jardin de mon père !». Désirant plaire à H?didouène, El-ghoula déchira tant qu?elle put son panier. Aux premières lueurs du soleil, elle se mit à le repriser ; sa mauvaise vue et ses gros doigts ne lui rendaient pas la tâche aisée. Quand elle termina de recoudre le panier, le soleil était bien haut. Elle s?empressa, quand même, d?aller rejoindre H?didouène ; mais celui-ci qui n?était pas si bête n?avait ni déchiré ni raccommodé son panier. A l?aube, il s?était rendu au verger où il avait cueilli toutes les figues fraîches et revint très vite à la maison. Il venait de fermer sa lourde porte quand il entendit crier El-ghoula : «Mon panier est bien recousu ; allons cueillir les figues, car ce matin, mon petit, j?ai grand appétit !». «J?imagine, j?imagine ce qui te met en appétit mais je suis à l?abri, et les figues je les ai déjà cueillies !», répondit H?didouène. El-ghoula s?en retourna chez elle en traînant ses gros pieds. Le lendemain elle revint à la charge : «H?didouène ! l?eau du puits de ton père est si belle et si claire ! Allons donc en puiser, petit frère», demanda El-ghoula en prenant une petite voix. «Je voudrais bien, répondit H?didouène, cependant le matin l?eau est plus claire. Demain, tu déchireras ton outre et je déchirerai la mienne. Puis ensuite, tu recoudras ton outre et je recoudrai la mienne. Alors, ensemble nous irons puiser l?eau claire du puits de mon père !». Désirant plaire à H?didouène, El-ghoula déchira tant qu?elle put son outre. Aux premières lueurs du jour, elle se mit à la repriser. Sa mauvaise vue et ses gros doigts ne lui rendaient pas la tâche aisée. Quand elle termina de recoudre l?outre, le soleil était bien haut. El-ghoula s?empressa d?aller rejoindre H?didouène. Celui ci, qui n?était pas sot, n?avait pas abîmé son outre. Au contraire, c?est aux aurores qu?il s?était dépêché d?aller puiser l?eau. Plus vite encore, il revint se cacher. Il était donc bien à l?abri quand il entendit l?ogresse lui crier : «Mon outre est bien reprisée. Allons, puiser l?eau claire ! Ce matin je suis si assoiffée !» «J?imagine, j?imagine ce qui fait de toi une assoiffée ! Mais de l?eau claire j?ai déjà puisée !». El-ghoula s?en retourna chez elle mourant de faim et de soif. (à suivre...)