Epoque n Les gros producteurs de films l'ont bien compris et développent des contenus Internet spécifiques à l'adresse de ces spectateurs en devenir. Pour le 60e Festival de Cannes, des professionnels du cinéma ont tenté d'imaginer le profil du spectateur de demain confronté à la déferlante des technologies numériques : plus spécialisé, plus exigeant, plus créatif mais peut-être moins accro aux salles obscures qu'à l'écran d'ordinateur. 2026 : le 80e festival de Cannes s'ouvre avec un remake de My Blueberry nights réalisé depuis une chambre d'étudiant tandis que la montée des marches par une foule d'avatars en smoking est diffusée en exclusivité sur Second Life. Un scénario à peine exagéré proposé à la dizaine de spécialistes rassemblés par la direction du festival pour décrypter l'impact de la révolution numérique sur le cinéma. Le développement de la vidéo à la demande (VoD), des réseaux communautaires type Myspace ou YouTube, des blogs et autres vlogs introduisent une dimension nouvelle dans l'univers du film : l'interactivité. «Les adolescents d'aujourd'hui mettent sur leurs blogs les images des films dans lesquels ils se reconnaissent comme autrefois ils accrochaient des posters sur leurs murs», décrit Danah Boyd, chercheuse américaine qui étudie les pratiques internet des jeunes. «Ils n'ont pas le sentiment de voler des images. Pour cette génération, il est complètement normal de jouer avec les contenus des films et de les échanger sur Internet. Internet est devenu le lieu de leur socialisation comme l'étaient autrefois les sorties entre amis au cinéma», poursuit la chercheuse. Les gros producteurs de films l'ont bien compris et développent des contenus Internet spécifiques à l'adresse de ces spectateurs en devenir. Le cinéma «d'auteur», en revanche, n'a pas encore su, pas encore voulu trouver sa place dans ce dialogue teinté de marketing. D'où un risque de voir l'univers cinématographique des jeunes se réduire sur Internet aux blockbusters qui trustent déjà la majorité des salles, constatent plusieurs observateurs. Parce qu'ils permettent de proposer aux cinéphiles une offre individualisée, les supports numériques participent également à une segmentation croissante des spectateurs, estime Emmanuel Ethis, sociologue du cinéma. De plus en plus actif dans son rapport au cinéma, le spectateur peut même, grâce aux nouvelles technologies, s'aventurer de l'autre côté du miroir et devenir lui-même créateur d'images. «Jamais il n'a été aussi facile de faire un film. Jamais la contrainte technique et le coût n'ont été aussi faibles», remarque Michael Gubbins du magazine anglais Screen International. Les conclusions du débat seront rapportées aux ministres de la Culture européens rassemblés à Cannes samedi pour la journée de l'Europe.