Surprise n Sur le large plateau étincelant, le grand plat de couscous était presque vide. Tout autour les cuillerées étaient dispersées çà et là, et des gros morceaux de viande qu'elles avaient posés sur le couscous, il ne restait que les os. La petite bassine d'eau et les serviettes avaient servi aussi. Les femmes se serrèrent les unes contre les autres et se seraient enfuies, si La Fatma n'avait pas dit d'un ton ferme : «Allons devant la porte, et attendons notre fel !» Les femmes, que la peur commençait à gagner, descendirent derrière la propriétaire de Dar Bouchakour, silencieuses osant à peine respirer. Elles s'engagèrent dans l'entrée sombre et La Fatma ouvrit la porte qui était fermée à double tour. La clé tremblait dans sa main et elle dut s'y prendre à plusieurs reprises. La pleine lune éclairait parfaitement la ruelle. Collées les unes aux autres, sans un bruit, elles attendirent le souffle coupé. Un long moment passa, puis tout à coup, de l'autre côté de la ruelle, un bruit de pas, accompagné du claquement d'une canne sur le pavé, résonna. Le bruit devint plus distinct et chaque pas se rapprochait lentement... Alors, au tournant de la ruelle, leur faisant face, les femmes aperçurent une silhouette qui se précisait frappant le sol de sa canne. —Mais... c'est si Omar ! s'exclama La Fatma dans un souffle ! —Mon Dieu ! c'est lui ! murmurèrent les femmes tétanisées. Si Omar se rapprochait et il n'était plus qu'à deux mètres de la porte. Un rayon de lune éclaira son visage, et sa moustache frémit comme s'il était en proie à une violente colère. Il les regardait fixement. Alors, n'y tenant plus, les femmes s'enfuirent dans une grande débandade laissant la porte grande ouverte... Chacune rentra dans sa chambre le cœur battant. Les hommes sont donc revenus, et si Omar les avait vues en pleine nuit devant la porte ouverte. Mortifiée, La Fatma faisait les cent pas dans sa chambre. Qu'allait dire son époux en voyant tous ces préparatifs ? «Il va me répudier, c'est sûr. Mon Dieu !» Et elle jetait de fréquents regards vers la porte, s'attendant à le voir entrer à tout instant. Mais, comme il tardait à monter, elle s'approcha timidement du balcon, et jeta un regard craintif sur le «diwen». Elle vit, comme dans un rêve, Rahma sortir de sa chambre de son pas lourd, et se diriger vers la porte d'entrée. En voyant les femmes courir vers leur chambre en murmurant «El Hadj Omar ! El Hadj Omar !», Rahma s'était levée et, résolument, s'était dirigée vers la porte. Elle jeta un coup d'œil, au moment de la refermer. Elle remarqua venant du coin de la rue, un groupe d'hommes qui avançait lentement la tête baissée. Rahma, au bout d'un moment, reconnut Marouane, le fils de Hadj Omar qui marchait en tête du groupe. Il s'arrêta devant la porte et la regarda tristement. —Qu'y a-t-il, vous êtes revenus de Annaba plus tôt que prévu, demanda Rahma. Où est El Hadj Omar ? L'autre baissa la tête, sans rien dire, étouffant un sanglot —El Hadj Omar est mort ! s'éleva une voix, au milieu du groupe. Il s'est noyé à Annaba.