Résumé de la 2e partie n Les youyous fusèrent dans tous les Aurès et au Sahara, la poudre parla. Si L'hachemi fit tourner la balle de cuivre entre ses doigts. Ses yeux étaient perdus dans le vague. Il réfléchissait. Il savait qu'il allait entreprendre une bien périlleuse aventure. La vie lui souriait et l'avenir était plein de promesses. Il était immensément riche, en pleine possession de ses moyens physiques, une carrière politique toute tracée l'attendait. Il savait qu'il allait perdre tout ça pour venger la mort de son père. En tuant le plus puissant colon de la région, membre très influent de la puissante Ligue des colons d'Algérie. Mais il avait décidé de ne pas se dérober à son destin et de se conduire en homme d'honneur. Il avait même décidé, lui, le lecteur assidu de toute cette littérature française qui idéalisait les comportements chevaleresques, de faire tuer l'assassin de son père, au lieu même du crime, avec la même balle et en recourant au service de tueurs venus de la même région. Il fit sertir la balle sur une cartouche, acheta un fusil neuf et engagea deux hommes de confiance venus de Oued Souf. Ceux-ci attendirent Sarailles sous le pont où avait été tué Si Ali Bey. Sarailles passait, en effet, par-là pour se rendre sur des terres qu'il avait accaparées du côté de Zoui. Il était en calèche. Soudain un coup de feu retentit et Sarailles s'effondra mortellement touché. Au dos, comme Si Ali Bey. Ce fut un immense coup de tonnerre dans toute la région. Les indigènes relevaient la tête. Si L'hachemi avait vengé son père. Dans la pure tradition des nobles de grande tente. Les youyous fusèrent dans tous les Aurès et au Sahara, la poudre parla.Mais les colons et la population européenne étaient dans tous leurs états. La police décida d'arrêter Si L'hachemi, pour le soustraire à la vindicte des Européens qui s'étaient juré de le lyncher et d'éviter ainsi une explosion de colère des populations autochtones. Si L'hachemi fut mis en détention préventive, mais aucune preuve ne fut trouvée, comme lorsque Si Ali Bey fut tué. Les tribus amies et alliées de la famille de Si L'hachemi grondaient. La justice française allait le relâcher lorsque l'un des deux hommes qui avaient abattu Sarailles, lors d'une altercation dans un café, se vanta d'être intouchable. Lui qui avait tué le puissant Sarailles n'allait pas se plier devant des pouilleux, claironna-t-il ! C'était là la preuve que recherchaient l'administration et la police coloniales. La Ligue des colons jubilait. On allait enfin pouvoir couper le cou à cet assassin de bons Français, mais le climat était à l'émeute imminente. Si L'hachemi fut transféré à la prison de Batna où devait se dérouler le procès. Les nombreux avocats de la défense purent obtenir que l'affaire soit jugée par des magistrats de la Métropole, les juges locaux, fils et parents de colons, avaient déjà pris partie. ? l'approche du procès des dizaines de milliers de sympathisants de Si L'hachemi se massèrent autour de Batna. Ils se montraient ouvertement menaçants. Ils installèrent des tentes de fortune et attendirent. Des notables de Batna et du Sahara se dévouèrent pour encourager la foule venue soutenir son héros. Des sacs entiers de louis d'or furent dépensés en nourriture. Un procès mémorable se tient pendant une dizaine de jours. Témoins contre témoins ; réquisitoires haineux, plaidoiries enflammées. Les minutes du procès, qui existent encore, sont un roman passionnant. La déclaration intempestive du vantard fut mise sur le compte de l'ivresse et par manque de preuve, Si L'hachemi fut acquitté. Ce fut à Batna, Khenchela, Biskra et dans tout l'Est algérien une liesse mémorable. Si L'hachemi était devenu une sorte de héros mythique. Il continua à être l'ennemi de la Ligue des colons. Député, il lancera contre eux des diatribes enflammées. Il déposera en août 1947 un projet de loi dont l'article premier dit : «La République française reconnaît à l'Algérie son entière autonomie...». Le 20 août 1947 lors de la troisième séance parlementaire, il fait une intervention historique sur le statut de l'Algérie qui a toujours été son cheval de bataille : «Il s'agit de liquider une fois pour toutes le régime colonial et par là même, de faire accéder à la liberté les anciennes populations colonisées». Cette déclaration soulève un tollé (Voir dictionnaire des parlementaires français). Il démissionne avec fracas de son mandat de député en 1951. En 1954, au lendemain de l'insurrection, il quitte l'Algérie pour Nice en compagnie de sa fidèle épouse Joséphine. Il y reviendra pour une courte durée après l'indépendance puis repartit à Nice où il décédera en 1971. Ferhat Abbas se rendit à Nice pour essayer de rapatrier la dépouille mortelle, mais Joséphine ne le permettra pas. Elle le fera enterrer au carré musulman du cimetière de Nice. Joséphine est encore vivante. ? Khenchela et dans tous les Aurès, tous les anciens connaissent Si L'hachemi et se rappellent son extraordinaire histoire de vengeance. Celle des vrais hommes.