Fascination n R'hoda, que Mme Patrice avait habillée d'une jolie robe à petits pois, était belle à ravir. Lorsqu'elle entra au service de la famille Patrice, tous les mâles de la maison comprirent vite qu'elle était intouchable lorsqu'elle griffa jusqu'au sang Henri, le cadet de cette famille, qui l'avait, un jour, attirée contre lui et avait tenté de l'embrasser sur la bouche. Elle crachait avec hargne par terre, s'essuyant la bouche du revers de la main comme si elle voulait se débarrasser d'une souillure. Elle fut renvoyée au gourbi paternel, mais Mme Patrice vint la reprendre dès le lendemain, elle avait apprécié au fond d'elle-même la chasteté de cette belle fille et était ravie qu'une Arabe refuse de se laisser prendre et qu'elle se défende avec une telle sauvagerie. Sa fibre féminine avait vibré. Cela la rassurait un peu aussi. Son volage de mari se laissait aller trop souvent à trousser les moukères du domaine et elle savait qu'il n'approchera pas R'hoda, maintenant qu'il avait vu comment celle-ci se défendait. Un jour, les Patrice reçurent à déjeuner des amis de Mostaganem. Les Muller. Une famille d'origine alsacienne très considérée dans la région. Le père était un riche négociant en vins et sa fortune était considérable. Il avait des biens jusqu'en Métropole. Le fils unique, Vincent, faisait des études de droit à la Faculté d'Alger. Les Patrice se mirent en frais pour les recevoir. La maison était sens dessus-dessous. Le curé, le maire et d'autres gros propriétaires de la région furent invités. Le déjeuner était l'occasion pour les Muller et les viticulteurs, organisés en coopératives, de discuter affaires, entre la poire et le fromage. Aussi, la réception qui se voulait simple et conviviale devint-elle, à la fin, l'occasion vitale pour toute la région de trouver acquéreur du produit des vendanges qui promettaient d'être exceptionnelles. Lorsque les Muller arrivèrent devant le perron des Patrice, ils furent étonnés en descendant de leur traction-avant d'être accueillis par une haie de notables, curé en tête. Le repas fut très gai. Il se prolongea tard dans l'après-midi. Pendant que les hommes prenaient l'apéritif sur la terrasse et discutaient affaires, les femmes avaient fait dresser une table près de la balançoire, pour surveiller les enfants et sirotaient du café à l'ombre des tilleuls. R'hoda, que Mme Patrice avait habillée d'une jolie robe à petits pois et d'un petit tablier blanc à liseré brodé, pour l'occasion, était belle à ravir. Tous les regards convergeaient vers elle et les femmes disaient tout leur étonnement. Comment une Arabe pouvait-elle être aussi ravissante ? Il devait bien y avoir du sang espagnol dans ces beaux yeux noisette pailletés de vert, disaient-elles. Ce que tout le monde ne savait pas, c'est que R'hoda vivait la période la plus cruciale de sa vie. Dire qu'elle était tombée amoureuse serait trop mièvre. En fait, elle était devenue folle. Vincent était l'homme qu'elle attendait. Ses yeux bleu pâle étaient le paradis où elle pouvait se réfugier. Son sourire, un bonheur incommensurable. La folie et l'amour étaient en elle dès l'instant où leurs regards s'étaient rencontrés. Elle savait que lui aussi avait ressenti ce coup de foudre. Elle comprit que rien ne pourrait se dresser entre eux et qu'ils étaient nés pour s'aimer et s'appartenir. Vincent trouva un prétexte pour rester quelques jours chez les Patrice. Ceux-ci se firent un plaisir de le recevoir. En partant le père Muller fit un sourire entendu à son fils et ses yeux se posèrent sur R'hoda. Il croyait que son fils voulait juste culbuter cette belle indigène. Il n'avait pas compris qu'un grand amour était né entre ces deux êtres. (à suivre...)