Portrait n Le large chapeau de paille (m'dhalla) et la large gandoura, qu'il porte, font que sa silhouette est reconnaissable de loin. De plus près, l'on découvre Lakhdar Bentoumi, un vieil homme attachant, aussi rustique que les contrées agrestes qu'il parcourt en compagnie de quelques ovins et de son inséparable chien. Il est berger et en est plutôt fier, comme le démontre le large sourire qui éclaire son visage tanné et profondément buriné. Une musette aux couleurs vives, cousue à la main, sur le côté droit de son veston usé, une petite outre faite de peau de chèvre lui battant le flanc gauche et l'éternelle flûte dépassant de son petit sac en font l'archétype du berger des Hauts-plateaux, ce flûtiste des grands espaces pastoraux que l'on rencontre au détour d'un paysage. Maniant avec dextérité la gasba (flûte en roseau), malgré la callosité de ses mains qui terminent des avant-bras secs et noueux comme des sarments de vigne. il joue à longueur de journée des airs anciens et tristes, aujourd'hui oubliés, qu'il agrémente, selon son humeur du moment, d'une chansonnette langoureuse dédiée à la beauté des femmes «aux longs cheveux noirs». A Bordj Bou-Arréridj et dans les coins les plus reculés des régions des Bibans, le temps a fait son œuvre et les bergers d'antan tendent à disparaître. Pourtant, le vieux pâtre fait revenir cette image même s'il s'est quelque peu «modernisé», car un jerrycan en plastique a remplacé l'outre en peau de chèvre et un poste de radio à piles l'accompagne désormais, au même titre que son fidèle chien à la race indéfinissable, partout dans ses déplacements. Le vaste territoire pastoral situé entre les wilayas de Bordj Bou-Arréridj et M'sila est un lieu de prédilection pour les bergers. Ils y viennent de toutes les régions du sud-est et du sud-ouest du pays, louent des parcelles de terrain déjà moissonnées et font paître leurs troupeaux. Le vieux berger à la m'dhalla, rencontré non loin de la RN76, se vante d'exercer «le plus beau métier du monde» et le clame avec une fierté non dissimulée. «Toutes mes richesses sont juste sous mes yeux, ce sont mes troupeaux, l'immensité des champs et la pureté des sources d'eau claire», dit-il. Il parle avec une pointe de nostalgie, mais sans aucun dédain des jeunes bergers que l'on rencontre aujourd'hui. Ces derniers ont abandonné le chapeau de paille pour des casquettes aux couleurs de leurs équipes de football favorites, tandis que le téléphone portable leur est devenu indispensable pour communiquer entre eux et s'entretenir des parcelles à louer dans toutes les régions des Hauts-plateaux, de M'sila à Souk Ahras. «Dans leur minuscule téléphone, ils écoutent même de la musique», s'étonne le vieux gardien de troupeaux en regardant sa flûte. «Ah cette gasba, elle date des années 1970, et je l'ai, moi-même, confectionnée avec un roseau annabi», lance-t-il, emphatique, avant de se remémorer son «époque glorieuse». «De mon temps, se souvient-il, on se déplaçait à pied de ville en ville, tout en faisant paître le troupeau, de M'sila à Annaba, on mettait jusqu'à trois mois pour parcourir 500 ou 600 km, en passant par Oued Zenati, Guelma et revenir par Souk Ahras, Tébessa, Biskra, Bou Saâda, bifurquant quelquefois par El-Eulma pour transiter par Barika.»