Marie-Louise Berthollet est satisfaite. Son déménagement s'est bien passé. Elle a réussi à vendre les meubles qui ne pouvaient pas trouver place dans son nouvel appartement. Elle a gardé les tableaux auxquels elle tenait le plus. Son deux-pièces est agréable. Et spacieux. Il donne sur une cour intérieure qui paraît calme à souhait. En bas, des arbres, des fleurs. Et des oiseaux. Elle caresse Mitsou, sa chatte siamoise. Sa seule compagnie depuis que ses deux enfants ont pris leur voI. — Alors, Mitsou, tu crois que tu vas te plaire ici ? On sera bien toutes les deux ? De l'autre côté de la cour, des fenêtres anonymes. Des rideaux. Au bout de quelques mois Marie-Louise a repéré quelques visages pour la plupart féminins. Mais le bâtiment d'en face est trop loin pour que cela justifie des saluts, même muets... On frappe à la porte de l'appartement : — Oui ? Qui est là ? — C'est Mme Dubard, la concierge. Marie-Louise ouvre, sans méfiance. Or, une aventure étrange arrive chez elle en même temps que la concierge... — Voilà, excusez-moi de vous déranger. Mais j'ai un message pour vous. — Un message ? Et de qui donc ? De la dame qui habite juste en face de chez vous, dans l'autre bâtiment. — Ah bon ? Juste en face... Je ne vois pas de qui il s'agit. Marie-Louise va jusqu'à sa fenêtre et soulève le voilage. En face, il y a plusieurs fenêtres : — La fenêtre juste au même étage ? Là où il y a un store vénitien ? — Oui, madame Berthollet. Celle-là, où il y a un géranium. — Il n'a pas bonne mine, ce géranium... — Bon, eh bien, la dame qui habite là est en train de mourir. Elle voudrait vous voir. — Pauvre femme... Me voir ? Et pourquoi donc ? Est-ce que je l'ai jamais vue ? Vous a-t-elle dit ce qu'elle me veut ? — Pas vraiment. Vous savez, je ne la connais pas trop. Mais, avec sa concierge, nous nous relayons pour l'aider, lui faire ses courses, son ménage. Elle ne va pas bien du tout... — Bon, si elle veut me voir, j'irai. ?a ne m'enchante pas spécialement mais si vous pensez que ça peut l'aider en quelque chose. A votre avis, vers quelle heure puis-je y aller ? — Je viendrai vous chercher à cinq heures et demie. Et je vous accompagnerai. Elle se nomme Mme Subat. Le soir même, Marie-Louise Berthollet pénètre sur les pas de la concierge chez la pauvre Mme Subat. Celle-ci est étendue sur son lit, toute vêtue de noir, ce qui accentue la pâleur de son visage. Ses cheveux, qui furent sans doute très bruns, sont gris et ses yeux entourés de grands cernes... — Je vous remercie d'être venue me voir. Je tenais absolument à vous dire combien je regrette... — Vous regrettez ? Et que regrettez-vous ? — Je regrette tout le mal que je vous ai fait. — Vous m'avez fait du mal ? Vous ? Et pourquoi ? Et quand ? La dame en noir pousse un grand soupir mais ne répond pas. Marie-Louise insiste : — Excusez-moi, mais quel mal m'avez-vous fait ? Je ne me suis aperçue de rien... L'autre se décide à parler : — Tout d'abord, il faut que vous sachiez que j'habitais l'appartement que vous occupez aujourd'hui. J'ai dû le quitter à cause de vous... Vous êtes certaine de ce que vous dites ? Quand l'agence m'a proposé cet appartement, ils m'ont bien dit qu'il était entièrement libre depuis au moins trois mois. La preuve, c'est qu'il avait été refait à neuf... Marie-Louise n'en saura pas plus aujourd'hui. De toute évidence, la dame en noir est épuisée. La concierge intervient : — Ne vous fatiguez pas. Nous allons vous laisser. Je reviendrai dans une demi-heure et je vous apporterai un bon bouillon et un petit pâté. (à suivre...)