Soumission n Les laïcs espèrent que le futur président de la République tiendra ses promesses quant au maintien de la laïcité en Turquie. Parmi les défenseurs du régime laïque turc, les appels se multiplient en faveur d'une attitude moins intransigeante à l'égard du gouvernement issu de la mouvance islamiste et de son candidat à la présidence, le chef de la diplomatie Abdullah Gül , en passe d'être élu. Des mois durant, les partisans les plus sourcilleux de la laïcité, emmenés par le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) de Deniz Baykal, ont conspué la candidature de M. Gül, l'accusant de vouloir, une fois devenu président, mettre en œuvre un plan secret d'islamisation du pays. Dans un climat de tension alimenté par des manifestations géantes contre l'islamisme, une rhétorique nationaliste et une déclaration de l'armée qui menaçait d'intervenir en cas de remise en cause de la laïcité, le CHP est parvenu au printemps, en boycottant le scrutin, à bloquer - le quorum n'ayant pas été atteint - l'élection de M. Gül. Mais les élections législatives convoquées le 22 juillet pour sortir de l'impasse ont débouché sur une large victoire du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et d'Abdullah Gül, dont l'élection mardi par le Parlement est désormais inéluctable. Et la colère gronde depuis chez les détracteurs de M. Baykal. «Baykal et ses amis ont choisi de faire du CHP un parti nationaliste et dépouillé de son idéologie traditionnelle de gauche», s'indigne Zülfü Livaneli, artiste, écrivain et ancien député, démissionnaire du CHP. Au sein même du CHP, la génération montante réclame un changement de stratégie, même si elle reste sceptique face à l'AKP et à sa conversion affichée aux valeurs démocratiques. «La campagne a été fondée sur les valeurs de la République, la laïcité. C'est très important tout ça mais les gens auraient plutôt voulu entendre quelles étaient nos solutions contre le chômage ou pour l'agriculture», déplore Didem Engin, 30 ans, candidate malheureuse du CHP à Istanbul. «Il nous faut maintenant nous engager dans une opposition constructive, pas essayer de provoquer une crise après l'autre ou attendre la faute du gouvernement», considère la jeune femme, qui admet regretter que son parti ait encore tenté la semaine dernière, sans succès, de faire invalider l'élection en boycottant le vote. Plus radical, Ufuk Uras, président du petit Parti de la liberté et de la solidarité (DP, gauche) dont il est devenu en juillet l'unique député, réfute la menace d'une islamisation de la Turquie par l'AKP, qui, selon lui, n'est qu'un «parti néolibéral et néoconservateur typique du processus de mondialisation». «Ce qui est important aujourd'hui, c'est de savoir vers quoi va évoluer la Turquie : vers une République militariste, une République de la peur, ou bien vers une République sociale et démocratique», argumente cet homme politique, dénonçant les immixtions de l'armée dans le jeu politique.