L'AKP veut assener la preuve que l'islamisme peut se diluer dans la démocratie. À voir et en attendant, les laïcs turcs prennent leur mal en patience. Aors que l'islamiste Gül devrait être élu, aujourd'hui, par le Parlement comme président de la République turque, les défenseurs du régime laïc du pays d'Atatürk prennent leur mal en patience. Certains d'entre eux ont même multiplié des appels en faveur d'une attitude moins intransigeante à l'égard du gouvernement issu de la mouvance islamiste et du futur président, numéro deux de l'AKP, alors que des mois durant, ils les avaient conspués, appelant même l'armée à intervenir en tant que garante sourcilleuse de la laïcité. Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) de Deniz Baykal, n'avait pas cessé d'avertir qu'une fois devenu président, Gül mettrait en œuvre un plan secret d'islamisation du pays, jetant le feu sur un climat de tension alimenté par des manifestations géantes contre l'islamisme soutenues par l'armée, laquelle, de son côté, avait brandi la menace d'intervenir en cas de remise en cause de la laïcité. Le CHP était même parvenu à bloquer la première tentative des islamistes de s'emparer du bureau du père de la laïcité turque. Mais les élections législatives convoquées le 22 juillet pour sortir de l'impasse ont débouché sur une large victoire de l'AKP qui a le soutien des milieux d'affaires et la colère qui a grondé contre les islamistes s'est estompée. Le CHP a éclaté, ses jeunes militants accusant sa vieille garde d'avoir transformé un parti de gauche en une auberge nationaliste improductive. La jeune génération laïque refuse la guerre idéologique même si elle reste sceptique face à la conversion affichée de l'AKP aux valeurs démocratiques. Gül a fondé sa campagne sur les valeurs de la République et la laïcité ! Les laïcs post régime militaire, ont tiré leçon de l'avancée islamiste. Ils vont s'engager dans une opposition constructive, au lieu d'essayer de provoquer une crise après l'autre ou attendre la faute qui fera bouger l'armée. Le petit Parti de la liberté et de la solidarité (ÖDP, gauche) qui a un seul député, réfute, pour sa part, la menace d'une islamisation de la Turquie par l'AKP, qui, selon lui, n'est qu'un parti néolibéral et néoconservateur typique du processus de mondialisation. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de savoir vers quoi va évoluer la Turquie : vers une République militariste, une République de la peur, ou bien vers une République sociale et démocratique, argumente ÖDP, dénonçant les immixtions de l'armée dans le jeu politique. Le quotidien Cumhuriyet, à la pointe de la lutte l'islamisme, l'AKP a eu des effets “éminemment positifs” sur la société turque. “Ce parti est en train de changer petit à petit et avec lui une nouvelle classe moyenne conservatrice se rapproche elle aussi de la laïcité”, a écrit son très populaire éditorialiste. La société islamiste turque était refermée sur elle-même, elle vivait dans un ghetto et l'AKP l'a ouverte sur l'extérieur, se félicite-t-il. L'exemple turc est-il exportable ? D. Bouatta