Précaution n «Je n'irai tout de même pas frapper à la porte de la voisine qui, j'en suis certaine, ne ratera pas une occasion pour me rafraîchir la mémoire.» Rue Mogador, au centre d'Alger. Une dame d'un certain âge presse le pas sous une chaleur suffocante et ne semble pas prêter attention aux sollicitations des nombreux jeunes revendeurs d'or qui la harcèlent sans discontinuer. «Avez-vous des bijoux à vendre, ou à acheter madame ?», «Regardez cette chaîne, c'est de l'or pur, je vous le garantis», «Ne vous en faites pas pour le prix…» La brave femme fait fi de ce brouhaha et s'engouffre dans l'agence de prêt sur gage de la Banque de développement local. A l'intérieur, elle donne l'impression d'être une habituée des lieux. Elle salue tout le monde d'un large sourire. En attendant son tour, elle prend place sur l'un des nombreux sièges réservés aux clients. Elle hésite longuement avant de daigner répondre à nos interrogations. «Non ce n'est pas la première fois que je sollicite un prêt sur gage auprès de la BDL. Cette pratique fait même partie de mes habitudes», dit-elle après s'être assuré que son nom «n'apparaîtra pas sur le journal». Mise en confiance, la dame se confie non sans une certaine gêne. «Aujourd'hui, je suis venue prendre 20 000 DA. Pour cela je dois hypothéquer ma gourmette en or massif», dit-elle en serrant fortement de ses doigts le précieux bijou. «Vous êtes vraiment dans le besoin au point d'hypothéquer un objet de valeur ?». A cette question délicate, elle ne sait quoi répondre. Elle réplique plutôt par une autre interrogation. «Qu'appelez-vous être dans le besoin ? Je suis cadre comptable dans une société privée et il se trouve que j'ai une facture à régler de toute urgence : le tôlier qui a réparé ma voiture, réclame son argent et je n'ai pas de quoi le payer, voilà tout.» Cette dame n'est donc pas une nécessiteuse ! Devant notre étonnement, un employé intervient : «Le prêt sur gage n'est plus l'apanage des pauvres. Nos clients sont issus de couches diverses. Je peux même vous assurer qu'une grande partie sont des fonctionnaires et des cadres moyens.» F., la trentaine, est accompagnée de son mari. C'est la première fois qu'elle a recours au prêt sur gage. Cette femme au foyer vient déposer une précieuse chaîne pour repartir avec 15 000 DA qui serviront, selon ses dires, à régler une partie d'une dette due à une banque publique. Il y a deux ans, son mari a bénéficié d'un logement LSP dans une commune de la banlieue Est de la capitale et, depuis, la famille a serré la ceinture pour pouvoir rembourser à chaque fois les tranches arrivées à échéance. «Cette fois, nous avons eu des dépenses imprévues, explique-t-elle. Pour tout vous dire, mon fils est tombé malade et son traitement a englouti la somme réservée pour le règlement de la tranche. Mon mari ne savait quoi faire jusqu'à-ce qu'une voisine me parle du prêt sur gage. J'ai hésité au début car tous mes bijoux, au-delà de leur valeur matérielle, ont une valeur sentimentale pour moi. Ce sont des cadeaux qui m'ont été offerts pour mon mariage par des personnes qui me sont très chères. Mais je n'avais pas le choix. Je dirai même que c'est la meilleure idée qui soit d'autant plus que je pourrai reprendre mon bijou à tout moment.» Sur ce, notre première interlocutrice intervient pour abonder dans son sens en mettant en exergue un autre avantage du prêt sur gage : la discrétion. «Vous ne voulez quand même pas que je me laisse interpeller à chaque fois que je passe dans le quartier par ce tôlier ou que j'aille frapper à la porte de la voisine qui, j'en suis certaine, ne ratera pas une occasion pour me rafraîchir la mémoire.» Jusque-là silencieuse, une autre cliente, accompagnée de son neveu, nous fait part de son cas. «Je suis venue pour reprendre mes bijoux déposés il y a deux ans. J'avais emprunté 20 000 DA pour payer mon propriétaire auquel je devais plusieurs mensualités. Je suis enseignante et mon mari est au chômage. Je n'ai jamais pu mettre de côté 20 000 DA pour reprendre mes bijoux. Imaginez ce qui se serait passé si c'était chez des voisins que j'avais emprunté cet argent.» Cette phrase, à elle seule, explique en grande partie l'engouement des Algériens pour le prêt sur gage.