Elsie avait une gouvernante irlandaise fort singulière. C'était la meilleure personne qui fût au monde, mais quelques animaux lui étaient antipathiques au point qu'elle entrait dans de véritables fureurs contre eux. Si une chauve-souris pénétrait le soir dans l'appartement, elle poussait des cris ridicules et s'indignait contre les personnes qui ne couraient pas sus à la pauvre bête. Comme beaucoup de gens éprouvent de la répugnance pour les chauves-souris, on n'eût pas fait grande attention à la sienne, si elle ne se fut étendue à de charmants oiseaux, les fauvettes, les rouges-gorges, les hirondelles et autres insectivores, sans en excepter les rossignols, qu'elle traitait de cruelles bêtes. Elle s'appelait miss Barbara, mais on lui avait donné le surnom de fée aux gros yeux ; fée, parce qu'elle était très savante et très mystérieuse ; aux gros yeux, parce qu'elle avait d'énormes yeux clairs saillants et bombés, que la malicieuse Elsie comparaît à des bouchons de carafe. Elsie ne détestait pourtant pas sa gouvernante, qui était pour elle, l'indulgence et la patience même : seulement, elle s'amusait de ses bizarreries et surtout de sa prétention à voir mieux que les autres, bien qu'elle eût pu gagner le grand prix de myopie au concours de recrutement. Elle ne se doutait pas de la présence des objets, à moins qu'elle ne les touchât avec son nez qui, par malheur, était des plus courts. Un jour qu'elle avait donné du front dans une porte à demi-ouverte, la mère d'Elsie lui avait dit : — Vraiment, un jour, vous vous ferez grand mal ! Je vous assure, ma chère Barbara, que vous devriez porter des lunettes. Barbara lui avait répondu avec vivacité : — Des lunettes, moi ? Jamais ! je craindrais de me gâter la vue ! Et, comme on essayait de lui faire comprendre que sa vue ne pouvait pas devenir plus mauvaise, elle avait répliqué, sur un ton de conviction triomphante, qu'elle ne changerait avec qui que ce soit les trésors de sa vision. Elle voyait les plus petits objets comme les autres avec les loupes les plus fortes ; ses yeux étaient deux lentilles de microscope qui lui révélaient à chaque instant des merveilles inappréciables aux autres. Le fait est qu'elle comptait les fils de la plus fine batiste et les mailles des tissus les plus déliés, là où Elsie, qui avait ce qu'on appelle de bons yeux, ne voyait absolument rien. Longtemps on l'avait surnommée miss Frog (grenouille), et puis on l'appela miss Maybug (hanneton), parce qu'elle se cognait partout ; enfin, le nom de fée aux gros yeux prévalut, parce qu'elle était trop instruite et trop intelligente pour être comparée à une bête, et aussi parce que tout le monde, en voyant les découpures et les broderies merveilleuses qu'elle savait faire, disait : — C'est une véritable fée ! (à suivre...)