Résumé de la 1re partie nStéphanie obtient son diplôme d'éducatrice spécialisée et s'occupe au château de personnes handicapées mentales. Quelques mois plus tard Stéphanie s'intègre à l'équipe du docteur. A un niveau modeste. Elle a déjà fait plusieurs stages et s'est familiarisée avec des enfants à problèmes. Elle est jolie, simple et pleine d'idées. Le docteur Mathouret est satisfait de sa nouvelle recrue : — Quand on organise une sortie, tout se passe bien si Stéphanie fait partie des moniteurs. Elle a une qualité indescriptible qui calme les plus nerveux. Et elle est toujours d'une humeur égale, jamais un mot plus haut que l'autre. J'espère que nous la garderons longtemps avec nous. Stéphanie, parmi tous ceux dont elle a plus ou moins la charge, s'est particulièrement attachée à Norbert. Ce garçon de plus de vingt ans est un des plus vieux parmi les pensionnaires du château. Il est grand, mince, mais sa silhouette efflanquée est constamment agitée de mouvements convulsifs. Ses bras partent en l'air à tout moment ses jambes semblent soudain prises d'initiatives indépendantes et contradictoires. Quand Norbert essaye de marcher, il ressemble à un polichinelle dont les fiIs seraient manipulés par un marionnettiste diabolique. Norbert a en outre des difficultés d'élocution énormes. Aucune phrase compréhensible ne sort de ses lèvres. A peine quelques sons identifiables. Stéphanie voit là comme un défi et elle s'attarde peut-être un peu plus longuement avec Norbert, pour essayer de le comprendre. Elle en parle à sa mère. — Tu sais, j'ai eu une curieuse impression aujourd'hui. Avec Norbert, ce garçon qui a des problèmes énormes. Nous étions sortis pour une promenade et soudain il a voulu faire quelques pas mais il a glissé dans une flaque d'eau. Il est tombé en arrière et sa veste s'est accrochée sur un piquet planté là. Le pauvre garçon est resté assis par terre, incapable de se relever. Il paniquait littéralement, il voulait dire quelque chose mais les sons qui sortaient de sa bouche étaient pratiquement incompréhensibles. S'il s'était agi de quelqu'un d'autre, cela aurait été un gag irrésistible. Mais, en regardant Norbert, grognant, la bave aux lèvres, j'ai eu le cœur serré. Mme Desbarieux soupire : — Et pourquoi me racontes-tu ça, ma chérie ? — Eh bien, maman, j'ai couru vers lui, j'ai tendu mes deux mains et je l'ai aidé à se relever. Et alors, j'ai éprouvé un choc. Norbert, incapable de dire merci ou quoi que ce soit d'autre, m'a simplement regardée, dans le blanc des yeux... Et soudain j'ai oublié tous ses problèmes, ses gestes désordonnés, je n'ai plus vu que ses yeux... il a de beaux yeux bleu vert. Jusqu'à présent, je ne les avais jamais vraiment remarqués. — Et alors, ma chérie ? — Alors je n'ai plus vu que ces deux yeux. Ils me disaient «merci» avec une passion, une force, une intensité incroyables. Ces deux yeux me regardaient comme si Norbert n'avait plus aucun problème. J'ai cru que j'allais fondre en larmes. Ces deux yeux me disaient : «Merci Stéphanie. Tu sais, j'ai des problèmes, je gigote dans tous les sens, je n'ai aucune coordination, je n'arrive pratiquement pas à me faire comprendre, mais tout ça ne concerne que mon corps. Mon cœur, mon âme, mon esprit sont intacts...». Stéphanie poursuit son récit : — Tu vois, maman, en regardant les yeux de Norbert, j'a eu l'impression de voir deux oiseaux magnifiques enfermés dans une cage disloquée. Mme Desbarieux répond à sa fille : — Ma pauvre Stéphanie, je crois que ton imagination te joue des tours. Cela va faire un an que tu travailles dans l'équipe du docteur Mathouret. Tu dois avoir besoin de repos. Je crois qu'il ne faut pas que tu t'attaches trop à un de ces adolescents. Tu risques de souffrir quand il partira. Parce qu'il partira un jour. Et lui aussi souffrira. Sois prudente. (à suivre...)