Précarité n Dans la banlieue Est de la capitale, un autre bidonville, une autre détresse. A Bordj El-Kiffan, l'une des plus belles localités de la baie d'Alger, se dresse le bidonville de Bateau-Cassé, à Haï Stamboul. Quelque 600 masures de zinc et de parpaing sont installées ici, presque pieds dans l'eau. Depuis une vingtaine d'années pour certaines, des familles y survivent dans des conditions intenables. Les dernières inondations ne sont pas faites pour arranger les choses. L'eau s'est infiltrée en grande quantité dans les taudis de fortune, emportant sur son passage meubles et literie. Dans la soirée de mardi dernier, 150 chefs de familles décident de prendre les choses en main et occupent l'école primaire du coin. «C'est le seul moyen de sauver nos enfants et d'attirer l'attention des autorités», estime celui qui semble être le représentant des habitants. «Nous sommes des Algériens nous aussi, nous avons le droit à un abri, pourquoi cette indifférence ?», gronde-t-il, imité par les dizaines de femmes qui l'entourent. Ces dernières semblent plus déterminées que leurs époux à faire entendre leurs voix. Elles nous apprennent que le chef de brigade de la gendarmerie de la localité s'est présenté depuis quelques heures et a averti tout le monde que la force publique procédera à l'évacuation des occupants de l'établissement scolaire pour permettre aux enfants de reprendre leur scolarité à l'école. C'est un ordre du wali délégué, chuchote-t-on dans la foule. «Nous ne bougerons pas d'ici quoi qu'il arrive», jure une trentenaire sous le regard médusé des ses deux enfants qui ne semblent pas comprendre grand-chose au drame. «Jusqu'à ce qu'on nous attribue des logements décents», enchaîne une autre. Sa voisine rétorque : «Des logements ? Tu rêves ! Nous devons nous estimer heureux s'ils consentent à nous offrir des chalets.» A propos de chalets, plusieurs témoins, qui ont l'air d'être sûrs de ce qu'ils avancent, affirment que rien que sur le territoire de la commune de Bordj El-Kiffan, pas moins de 6 000 chalets ont été dressés au lendemain du séisme de Boumerdès, en 2003. «Une partie de leurs occupants a été recasée et, de ce fait, il y a bien des chalets vides. Pourquoi nous laissent-ils dans cette situation ? C'est injuste», s'indignent-ils. Un jeune homme d'une vingtaine d'années paraît particulièrement excité. «ça y est, je n'en peux plus. Je suis prêt à tout. Je n'exagère pas si je vous dis que je préfère aller à Serkadji, derrière les barreaux, que de vivre dans cette situation. J'en ai marre des infiltrations d'eau. A chaque pluie, c'est la même chose. Jusqu'à quand devrons-nous supporter cette situation ?» Les femmes accourent et exhibent toutes sortes de documents : des attestations de filles de chahid, de victimes de terrorisme, de sinistrés. Le cas de N. est particulièrement pathétique. Elle a enterré deux maris assassinés par les terroristes respectivement en 1993 et 1995. ils lui ont laissé 5 orphelins dont l'un est traumatisé à vie. «Son père a été égorgé devant ses yeux alors qu'il avait seulement 7 ans», raconte-t-elle. N'ayant pas où aller après que l'eau eut inondé son bidonville, elle a, elle aussi, rejoint les occupants de l'école. Entre 400 et 600 personnes, selon différentes estimations, s'entassent dans les salles de classe exiguës. Sans être pires que celles du bidonville, leurs conditions de vie sont, pour le moins, intenables. «Nous sommes certes à l'abri de la pluie mais cela fait presque une semaine que nous nous contentons de bouts de pain en guise de repas. Au mépris des autorités, est venue s'ajouter l'indifférence des associations humanitaires qui sont peut-être occupées à d'autres missions en ces jours de vote», insinue notre premier interlocuteur…