Beggar Hadda pousse sa voix ensorcelante jusqu'aux confins de R'mila, la petite plage de Bab El-Oued, chatouillée par les vagues assagies et sous un grand chapiteau un monde de femmes, avec de la magie jusqu'au bout des ongles. Leurs empreintes, ce sont ces ouvrages faits avec la dévotion d'un cœur généreux : burnous, couvre-lits, nappes, parures brodées, medjboud, gâteaux traditionnels, vannerie et une interminable encyclopédie de la vie. Celle commencée, il y a des siècles et des siècles, par des femmes, les pieds usés à force d'emprunter les chemins escarpés de la destinée et transmise, comme un lourd testament à d'autres femmes aptes aujourd'hui à prendre le relais. De Timimoun à Biskra, de Tlemcen, à Beni Yezguen et de Beni Yenni à El-Ouenza, l'artisanat algérien, longtemps miné dans les tréfonds de l'incurie, renaît, l'espace d'une exposition, par la grâce des jeunes filles et des femmes au foyer qui, pour résister, ont pris leur courage à deux mains. Dénoncer au féminin pluriel une vérité implacable : l'artisanat, leur artisanat, prépare déjà son linceul. Emporté à jamais dans le cercueil de l'incompréhension. Elles dénoncent et elles résistent comme le faisait Hadda : «Megouani Nesbar» entonnait-elle un jour dans son petit coin, emmitouflée dans sa m'laya légendaire.