Rencontre n Dans cet entretien que nous a accordé Jean-Pierre Lledo et que nous livrons au lecteur sous forme d'article en deux parties, aujourd'hui et demain, le documentariste évoque surtout cette passion qui l'anime et qui est née de la volonté de se reconstruire pour renaître. Jean-Pierre Lledo tient sa passion pour le documentaire du fait que c'est un genre cinématographique à part entière, de la même manière qu'une fiction. «Le long-métrage, ce n'est pas seulement de la fiction, et le documentaire n'existe pas seulement dans le format que la télévision a imposé, le fameux «52'» ! Le cinéma documentaire s'est effectivement imposé ces dernières années, avec la Palme d'or de Cannes à l'Américain Mickael Moore», rappelle Jean-Pierre Lledo. Jean-Pierre Lledo tient toutefois à préciser : «Je ne me suis pas ‘'spécialisé'' dans le documentaire. Je suis un cinéaste et le documentaire tel que je le conçois et le pratique est à l'égal de la fiction du ‘'cinéma''. Il n'y a pour moi aucune différence entre documentaire et fiction, sinon que dans l'un on a affaire à des comédiens et dans l'autre à des gens réels qui parlent de leur vie et non d'une vie imaginée dans un scénario.» Si le réalisateur s'intéresse au documentaire, c'est parce que, contrairement à la fiction, «le documentaire produit un ‘'effet de réalité''. On a l'impression que c'est la réalité. Mais tout ce qui est filmé n'est pas la réalité, mais une représentation de la réalité. C'est pour cela que le documentaire est aussi un art. Il ne suffit pas d'appuyer sur le bouton d'une caméra dans la rue, pour avoir un film documentaire !» Cela dit, la spécificité et peut-être la supériorité du documentaire est qu'il cumule la force de tous les arts du spectacle et de la «fiction», c'est-à-dire du suspense et la force de cette impression de réalité. Interrogé ensuite sur la raison qui l'a motivé à opter pour le documentaire, le réalisateur dit : «Cela est lié à deux choses. D'abord, à l'exil, ensuite, à une reconstruction identitaire.» Et d'argumenter : «Quand subitement, vous êtes chassé de votre pays, arraché de votre environnement naturel, ça représente une violence extraordinaire pour un individu et provoque un gros traumatisme. Quel est l'exilé qui n'a pas eu sa dépression nerveuse ? De cette dépression, on ne peut en sortir – quand on en sort – qu'en faisant un travail sur soi, un travail de reconstruction identitaire, qui consiste à se demander qui on est, d'où on vient, où on va… Et quand on a la chance d'être un créateur, un cinéaste, on fait des films ! Pourquoi documentaires ? Pour une raison assez simple à comprendre. Je suis un Algérien dont l'origine est liée à deux communautés, juive et pied-noire, qui en 1962 ont quitté l'Algérie, essentiellement pour la France. Le cinéma documentaire m'a donc permis de retrouver, avant qu'ils ne disparaissent, des représentants de ces communautés dont je suis le produit, mais aussi des représentants de la communauté majoritaire, berbéro - arabo -musulmane, au milieu de laquelle j'ai grandi et vécu jusqu'en 1993, et qui est, de ce fait, aussi une partie de mon identité. Mon cinéma documentaire est, de ce fait, très autobiographique.» Ainsi, le documentaire se révèle un instrument de travail et d'investigation, et un art par lequel le réalisateur traduit une sensibilité individuelle et fait valoir une esthétique cinématographique. l S'exprimant sur la façon dont ses documentaires s'organisent, Jean-Pierre Lledo les explique «comme des films de fiction », ou encore «comme un roman» «Je suis tenaillé, dit-il, par une angoisse, une frustration, un manque, j'ai une vague idée de film, je dois trouver des personnages qui puissent me mener vers quelque chose que j'ignore, et quand j'en trouve de suffisamment fort, je mets mes pas dans les leurs, attentif et réactif, à ce qu'ils vont dire, et aux endroits où ils vont me mener, à ce qu'ils vont me faire découvrir…» Et d'ajouter : « Je ne suis attiré que par ceux qui ont un vécu puissant. J'aime le débat d'idées.Il n'y a rien de plus émouvant que de voir quelqu'un penser en direct. Mais lorsque des gens sont asséchés au point de n'avoir plus d'autre souvenir de leur propre vie, qu'un discours stéréotypé, mémoriellement correct, alors là oui, c'est insupportable.» Ainsi, le documentaire, tel qu'il est pratiqué par Jean-Pierre Lledo, est une écriture instantanée de la réalité «Le cinéma documentaire est bien une écriture, comme tout art du spectacle», estime-t-il. Et de poursuivre : «Il n'est pas une représentation, car elle n'est jamais simple, puisqu'il s'agit de présenter les choses une deuxième fois, autrement que la première fois, autrement que la manière directe du vécu. Avec le filtre d'une mémoire, toujours sélective. Avec un point de vue conscient ou inconscient. Et pour cela, nous copions le travail de notre inconscient lorsqu'il produit du rêve. Nous condensons et déplaçons, les événements vécus, et / ou relatés. »