Œuvres n Jean-Pierre Lledo a, à son actif, plusieurs documentaires, dont une trilogie consacrée à l'Algérie : Algéries, mes fantômes, Un rêve algérien, Algérie, histoire à ne pas dire. Cette trilogie raconte l'Algérie contemporaine et son rapport à l'Histoire. Elle cristallise en témoignages une mémoire commune, celle pesamment partagée entre l'Algérie et la France. Interrogé sur ce rapport, Jean-Pierre Lledo explique : «Aujourd'hui, la France est habitée par l'Algérie. L'imaginaire le plus puissant qui irrigue la France est, sans conteste possible, l'imaginaire algérien. Plus de la moitié de la population française est directement concernée par l'Algérie.» Si l'Algérie investit l'imaginaire français, il se trouve également que la France habite l'imaginaire algérien. «Inversement, la colonisation française a marqué à jamais l'Algérie», dit-il, ajoutant : «Il faut admettre que l'histoire universelle s'est faite ainsi par les mélanges, qui, le plus souvent dans le passé, s'opéraient dans la violence des conquêtes, lesquelles n'ont pas été l'exclusivité de la France ou de l'Europe.» Force est de constater que dans la trilogie du documentariste, se manifeste la notion de l'autre, de l'absent. «Quand j'ai fait Algéries, mes fantômes, où des pieds-noirs et juifs d'Algérie évoquaient l'Absent, l'Autre, celui dont ils avaient été amputés, l'Arabe ou le musulman, je me suis dit que pour le film suivant, il faudrait que je fasse l'inverse, et en faisant ces films, j'ai compris que l'exode des deux communautés, juive et pied-noire, a été vécue de part et d'autre comme un déchirement, plus, comme une amputation», estime-t-il. S'exprimant ensuite sur son dernier film, Algérie, histoire à ne pas dire, le réalisateur tient à préciser que «le problème que soulève ce film est de savoir s'il faut tenir compte des modifications (architecturales, humaines, etc.) que produit l'Histoire, ou les faire disparaître pour «épurer» et revenir à l'état «antérieur», comme on se débarrasse d'une souillure…, et il ne s'agit pas d'une apologie du colonialisme», ce qui relève de la calomnie.» Jean-Pierre Lledo nourrit, manifestement, un souci permanent non pas pour l'Histoire, mais pour la mémoire. «L'Histoire comme la pratiquent les historiens, les scientifiques, m'ennuie. Moi, j'aime le contact avec les gens, un peu comme les journalistes. Y a quasiment jamais de documents d'archives dans mes films. Pour moi, une personne âgée est une archive vivante ! Ensuite, parce que l'histoire récente qui m'intéresse, a très peu été étudiée», souligne-t-il. Et d'indiquer : «Si les anciennes écoles d'historiens méprisaient la mémoire et les sources audiovisuelles, les choses ont changé ! Désormais, la Mémoire est devenue un objet d'étude scientifique aussi, inclus dans l'Histoire, mais avec son indépendance, avec ses propres méthodes d'investigation…» L'Histoire, celle partagée entre l'Algérie et la France, notamment le rapport de l'une à l'autre, alimente alors cette trilogie documentariste. l Jean-Pierre Lledo est continuellement soucieux d'appréhender l'Histoire à travers la mémoire, de débusquer la vérité, d'où le recours au documentaire. «Le documentaire très intimiste est un genre que je n'ai personnellement pas pratiqué jusqu'à présent. C'est plutôt l'Histoire d'où je pars et vers quoi je vais, qui a été mon centre d'intérêt», relève-t-il. Et de poursuivre : «Parce que quand on est né en Algérie en 1947, qu'on y a vécu jusqu'en 1993, qu'on s'appelle Jean-Pierre Lledo et qu'on se considère Algérien, évidemment y a que l'Histoire qui peut expliquer ça ! » Le réalisateur s'y intéresse aussi lorsque « l'Histoire est prise en otage, bâillonnée, trafiquée, tronquée, arrangée, mythifiée, et diffusée officiellement à l'école, dans les médias dans une version expurgée et jalousement maintenue par des gardiens d'un temple dont la mission (salariée) est de ne pas nous permettre de l'approcher. Le problème, c'est qu'à force, et avec le temps qui passe, on s'habitue à penser que cette version de l'Histoire, «histoire dominante», sœur jumelle de «l'idéologie dominante», est l'Histoire ! ». Evoquer l'histoire, l'aborder sous toutes ses coutures, c'est s'employer à s'approcher de la vérité puisqu'elle est «une quête perpétuelle, qui suppose des points de vue différents, et qui ne peut se laisser posséder par quiconque», estime Jean-Pierre Lledo. Et de conclure : «Le propre de la recherche historique consiste justement à réviser perpétuellement l'acquis, en fonction des nouvelles informations, révélations, découvertes, voire hypothèses, visions… ».