Résumé de la 86e partie n Ernie va fêter le gain de sa cagnotte de deux millions de dollars dans un bar. Là, il trouve Loretta. Elle est si belle… Dans le halo de lumière que diffusait la suspension, imitation Tiffany, au-dessus du comptoir éraflé du bar, Ernie admirait donc en silence Loretta, dont il trouvait la silhouette drôlement sexy malgré ses cinquante-cinq ans. Mais ce n'était pas elle qui emplissait ses pensées ce soir. Le billet de loterie qu'il avait épinglé à son maillot de corps lui tenait chaud au cœur. Comme un feu intérieur. Deux millions de dollars. Ce qui signifiait deux cent mille dollars par an moins les impôts pendant vingt ans. Ils verraient arriver le XXIe siècle sans se faire de bile. Et à ce moment-là, peut-être même pourraient-ils s'offrir un voyage sur la lune. Ernie tenta de se représenter l'expression de Wilma lorsqu'elle apprendrait la bonne nouvelle. La sœur de Wilma, Dorothy, n'avait pas la télévision et écoutait rarement la radio, si bien que Wilma, à Philadephie, ignorait sûrement en ce moment précis qu'elle était riche. Dès l'instant où il avait appris la nouvelle sur sa radio portative, Ernie avait été tenté de se précipiter au téléphone pour prévenir Wilma, mais il s'était ravisé. Ce serait plus excitant de le lui annoncer de vive voix. A présent, son visage rond plissé comme une crêpe de la Chandeleur, Ernie souriait aux anges en imaginant le retour de Wilma le lendemain. Il irait la chercher à la gare de Newark. Elle lui demanderait si leur numéro approchait du numéro gagnant. «Est-ce qu'on a deux bons numéros ? Trois ?» Il lui répondrait qu'ils n'en avaient pas un seul dans la combinaison gagnante. Puis, une fois à la maison, elle trouverait ses collants suspendus à la cheminée, comme à l'époque où ils étaient jeunes mariés. Wilma portait des bas et des jarretelles, alors. Aujourd'hui, elle mettait des collants de la taille 48 et il lui faudrait fouiller jusqu'au bout du pied pour en retirer le billet. Il lui dirait : «Continue de chercher, attends d'avoir trouvé la surprise.» Il imaginait la scène, le cri qu'elle pousserait en jetant ses bras autour de son cou. Wilma était un beau brin de fille lorsqu'ils s'étaient mariés quarante ans auparavant. Elle avait conservé son joli visage et ses cheveux d'un blond platine ondulaient naturellement. Pas le genre danseuse comme Loretta, mais Ernie la trouvait à son goût. Elle se mettait quelquefois en rogne parce qu'il levait un peu trop souvent le coude avec ses copains, mais dans l'ensemble c'était une chic fille. Et, bon sang, ils allaient passer un sacré Noël cette année ! Peut-être l'emmènerait-il chez Fred le Fourreur pour lui acheter un manteau en mouton doré ou un truc de ce genre. Anticipant le plaisir qu'il éprouverait bientôt à faire des largesses, Ernie commanda son quatrième whisky-soda. C'est alors que son attention fut attirée par l'étrange manège de Loretta. Toutes les deux ou trois minutes, elle posait sa cigarette dans un cendrier, sa chope de bière sur le bar, et elle se grattait vigoureusement la paume, les doigts et le dos de la main droite avec sa main gauche aux ongles effilés. Ernie remarqua que sa main droite était enflammée, gonflée et couverte de marques rouges à l'aspect inquiétant. (à suivre...)