"Détention d?arme prohibée" «J?ai pris les armes avec de vrais hommes, pour libérer le pays», déclare le vieux prévenu. Kaci est vif et alerte malgré ses soixante- dix ans. Véritable bibliothèque, le vieil homme est très respecté dans son quartier. Jeunes et moins jeunes, apprécient sa compagnie car ils apprennent énormément de choses avec l?ancien moudjahid. Ce dernier avait adhéré au mouvement nationaliste avant d?être contacté par le noyau embryonnaire du FLN à Alger. Cette fois aussi, il s?était montré à la hauteur et avait rejoint les maquis de Kabylie quelques semaines avant le déclenchement de la Révolution. Il s?avéra un combattant hors pair. Fin tacticien, il réussit, à maintes reprises, à donner des leçons de bravoure aux saint-cyriens de l?armée coloniale. Dieu a voulu que Kaci échappe à la mort et qu?il vive l?indépendance. Dès la fin de la guerre, il réintègre la vie civile. Il est recruté par une entreprise nationale où il exercera jusqu?à la retraite. Au début des années 90, il fait valoir ses droits à la retraite. Certes il regrette le temps où il était actif, mais la présence du fusil de chasse lui rappelle souvent qu?il a accompli tous ses devoirs d?homme libre. Accroché au mur du salon, le fusil de chasse est le seul souvenir matériel qui lui reste de la Guerre de Libération. À ses enfants qui trouvent moult excuses quant à leur statut de chômeurs, il dira, l?index pointé vers le fusil : «Vous voyez les armes dont nous disposions pour lutter contre l?OTAN et nous avons réussi à battre l?armée coloniale». L?avènement du terrorisme affecte douloureusement Kaci, au même titre que tous les autres amis. Il ne peut croire que 30 ans après l?indépendance des Algériens s?entre-tuent. Chaque fois qu?il fait état de tueries ou de massacres, l?ancien moudjahid se mure dans le silence. Habitant toujours la Casbah, il observe, impuissant, les graves dérives meurtrières. Ah, s?il était encore jeune, il aurait repris le vieux fusil pour défendre l?Algérie ! Kaci n?est pas au bout de ses peines. Il reçoit une convocation de la mairie. Il s?y rend le jour même. Le président de l?APC lui demande de rapporter son fusil. Il rentre chez lui, triste et en colère. Sa femme et ses enfants lui rappellent les spots à la télévision et à la radio, invitant, depuis des semaines, les détenteurs d?armes, à les restituer. Au lieu de s?exécuter, Kaci prend son fusil et va se réfugier dans le village de ses parents en Kabylie. Il retrouve la maison paternelle fermée depuis des années. Quelques semaines après son installation il est arrêté par des gendarmes qui se confondent en excuses : «Nous vous connaissons bien, mais nous sommes obligés d?obtempérer aux ordres des autorités judiciaires», lui disent les gendarmes. Il est envoyé à Alger où il est écroué à la prison de Serkadji. Il comparaît devant le tribunal correctionnel d?Alger, pour détention d?arme prohibée. Lors du procès, le vieux maquisard se montre intraitable. «Oui, j?ai fui en Kabylie avec mon fusil pour ne pas le restituer aux autorités», dit-il. En revanche, il nie avoir voulu garder son arme pour aider les terroristes. «Non, ma fille, j?ai pris les armes, avec de vrais hommes, pour défendre mon pays contre l?occupant», dit-il à la présidente. Il conclut son intervention par une sagesse du terroir : «Vous savez, ma fille, mon père m?a toujours dit que la femme et le fusil ne se prêtent ni se vendent.» Le procureur de la République ému, lui aussi, par tant de dignité se voit obligé de requérir la peine prévue par la loi. L?avocat de la défense plaide coupable, mais insiste sur la qualité du vieux moudjahid qui voulait garder un souvenir qui lui est cher. Il réclame des circonstances atténuantes. Au terme du procès, Kaci se voit infligé une peine de 6 mois de prison avec sursis.