Evocation n Des intellectuels et des historiens sont revenus hier, lors d'une rencontre à la Bibliothèque nationale, sur l'an I de l'indépendance algérienne. Cette rencontre s'inscrit en marge de l'exposition de photographies qui retrace la vie des Algériens dans les villes et villages après le départ de l'administration française. L'auteur des clichés exposés depuis une semaine à la bibliothèque nationale d'Algérie, le Français Elie Kagan, était reporter-photographe à Révolution Africaine, l'hebdomadaire fondé en 1963 par l'historien Mohamed Harbi. Il a voulu immortaliser, aux côtés de l'actualité politique, la vie de simples citoyens pris dans leur quotidien dans les villes et les campagnes algériennes. L'expression qui se dégage de ces portraits en noir et blanc, pris sur le vif, de petites gens, qu'ils soient paysans, ouvriers, fonctionnaires, adultes ou enfants, est une immense attente dans le regard. Une impression confirmée par les intervenants, tous témoins-acteurs de ces années qui ont immédiatement suivi l'indépendance de l'Algérie et dont l'inspirateur de l'exposition et de la conférence, l'historien Daho Djerbal, dira : «C'était le moment fatidique où le pouvoir (national) était tenu de répondre à l'attente et à l'espoir d'un peuple qui sortait d'une longue nuit coloniale.» Même propos chez l'historien Lemnouer Merouche, directeur au lendemain de l'indépendance du quotidien El-Moudjahid, version arabophone, qui se remémore avec émotion l'«enthousiasme» des Algériens. Malgré la misère et le dénuement, les gens se prenaient en charge eux-mêmes, «à l'instar de cette région dans le Constantinois où 7 écoles et une route ont été ouvertes à l'initiative populaire». «La volonté des citoyens était de construire un Etat et une société par la base», a-t-il dit. De son côté, l'écrivaine Fadéla M'rabet témoignera de la liberté de ton qui a marqué la presse algérienne naissante. Animatrice à la radio nationale, elle dirigeait «Le magazine de la jeunesse», une émission où «journalistes et auditeurs s'exprimaient librement». Mohamed Harbi, conseiller à la Présidence à l'indépendance, a évoqué la question de l'autogestion, dont la mise en pratique a été l'œuvre, selon lui, de «gens qui ont une vision patrimoniale» et qui ont privilégié «leurs intérêts propres». Il est ensuite revenu sur les divergences politiques au lendemain de l'indépendance. Les interventions de Hocine Zehouane, ex-officier de la Wilaya III historique et Pierre Chaulet, militant de la cause nationale, ont été de la même veine : tous deux ont souligné l'«euphorie» du peuple algérien et l'«immense» espoir qu'il nourrissait après 1962. «Alors que le peuple faisait montre d'énormes capacités à faire face aux défis et à se mobiliser, les appareils se déchiraient», a déclaré Zehouane. De son poste de médecin des hôpitaux, le Pr Chaulet racontera pour sa part la désertion, «un scandale», des professeurs, médecins et infirmiers français des hôpitaux algériens, en abandonnant les malades.