Espoir Rachida, allongée pensive sur le lit du centre où elle est hébergée à Alger depuis quelques mois, attend avec impatience que sa mère vienne de Khenchela pour la reprendre aujourd?hui à la maison. Son hidjab froissé et son foulard blanc sont accrochés derrière la porte, alors que ses chaussures noires et trouées sont sous son lit. Tout est prêt. «Ma mère va venir d?un moment à l?autre, je l?attends depuis ce matin, je n?arrive plus à dormir, je veux la revoir et la serrer très fort dans mes bras et implorer son pardon. Regardez dans quel état sont mes vêtements, mais je m?en moque. Yemma est là, c?est le plus important pour moi. Je la suivrai même pieds nus, je n?ai pas honte». Son regard s?assombrit soudainement, des larmes mouillent son visage d?enfant perdu. Tout au long de ses confidences, Rachida, se tapote sans cesse les mains moites par l?émotion, avec une règle de classe cassée. «Mon père, nous a laissés. Il était gardien d?une école primaire. Un jour, il a demandé le divorce, il a eu gain de cause et il a quitté le domicile familial. Je ne sais pas pourquoi, peut-être pour refaire sa vie sans nous prévenir. On s?est alors retrouvé sans aucune ressource. Ma mère, qui a tout abandonné pour son mari : son travail et sacarrière professionnelle, a été trahie. Nos deux familles parentales nous ferment la porte et l?on se retrouve seul. Heureusement que la maison appartenait à ma mère». Notre interlocutrice détourne les yeux, se tait un long moment, une douleur indomptable brûle son c?ur et son âme juvénile de 16 ans. Puis, elle enchaîne difficilement : «Ma mère a dû se prostituer pour nous faire vivre moi et mes 4 frères et s?urs. Au début, elle le faisait à la maison, lorsque nous dormions, elle faisait entrer les hommes dans sa chambre. Un jour, je me suis rendu compte, moi et ma frangine Sarah ; qui a 12 ans. Je me rappelle que le lendemain, dès que le premier homme a frappé à la porte, c?est moi qui ai ouvert, j?avais la ferme intention de le chasser. Et là, je lui crie au visage, je lui dis comment pouvait-il profiter de notre détresse. Pourquoi ne pouvait-il pas remettre cet argent à ma mère et repartir sans rien nous arracher. Nous étions pauvres, n?a-t-il pas pitié de nous, nous n?avions pas mangé depuis plusieurs jours. Il est parti, insensible à mes pleurs. Ma mère, secouée et émue par mon comportement, s'est enfermée dans sa chambre et a pleuré toutes les larmes de son corps. Depuis, aucun homme n?a jamais remis les pieds chez nous. C?était ma mère qui sortait le matin, pour ne revenir qu?à l?heure des repas. Elle me disait qu?elle travaillait, je ne savais pas où elle allait, mais pour me rassurer, elle emmenait mon frère Adel, âgé de 4 ans.» Après une fugue, Rachida, repêchée par le Samu social, est placée dans un centre. Quand ma mère est venue me voir la dernière fois, elle avait les cheveux très courts, elle portait des vêtements d?homme, elle a complètement changé. Lorsque je l?ai vue, je me suis dit qu?elle est là, qu?elle pourrait mourir pour nous, comme elle le criait sans cesse. «J?aime ma mère et je lui pardonne tout», dit-elle. Ce jour-là, sa mère est venue la chercher.