Résumé de la 3e partie n Profitant de la mauvaise réputation de sa femme que lui a rapportée son fils, Kassi divorce et s'en retourne avec lui dans son village... Depuis ce jour, la vie du vieux tirailleur subit une transformation complète : il devint la mère d'Ali, le soignant comme l'aurait fait une femme, s'absorbant en lui et en sa vie. Il lui donnait de beaux habits, des burnous fins, composait pour lui des ratas insensés, pimentés à faire couler l'eau du front. Il le promenait dans tous les marchés, lui achetant ce qu'il désirait, un cheval, un fusil, heureux de le voir se développer et devenir homme. Ali se laissait faire, approuvant tout, trouvant tout bon, puisque cela venait de son père. A plusieurs reprises Kassi lui offrit de prendre femme, lui parlant d'acheter les plus belles, car il avait un sac bien garni, sa pension et ses croix en faisaient un richard, un rentier à près de mille francs par an, une fortune. Le jeune homme, satisfait d'avoir retrouvé un père si bon pour lui, refusa. On prit alors une vieille veuve pour préparer le repas et les deux hommes continuèrent leur vie de camarades, joyeux de sentir de jour en jour croître leur amitié. Kassi ne se lassait point, comme tous les vieux soldats, de raconter ses campagnes, et Ali rêveur, dans la demi-inconscience que lui donnait le bercement du récit monotone, voyait se dérouler devant lui ces pays inconnus que l'imagination du narrateur lui montrait pavés de diamants, ombragés d'arbres aux fruits de miel, peuplés de femmes paradisiaques. Son cerveau travaillait et un beau jour, à Fort-Napoléon, voyant passer, musique en tête, un bataillon de la garnison, il déclara net que lui aussi serait turco. Le père combattit longtemps l'idée du jeune homme : qu'allait-il faire au régiment, abandonnant un vieux père qui n'avait que lui ? Certes, c'était un fier métier que celui de soldat, mais depuis quelque temps la discipline se faisait plus rigide, les occasions d'avancer et de s'enrichir plus rares et plus dangereuses. Et peut-être bien aussi les pays lointains ne valaient-ils pas mieux que la Kabylie blanche et verte. Enfin, il céda, à une condition qu'Ali s'engagerait dans le régiment d'Alger et ne ferait qu'un congé. Il reviendrait ensuite se marier au pays. Le fils promit, et, la mort dans l'âme, Kassi, ornant sa poitrine de toutes ses décorations, vint le présenter au recrutement. Ali, malgré sa jeunesse, était un homme trop bien découplé et de trop bonne mine pour être refusé ; le père eut une dernière joie lorsque son enfant chéri le pressa dans ses bras, portant allègrement la chechia, beau comme une fille, dans son costume bleu ; puis, le pauvre homme retourna, morne, dans son village. Toutes les habitudes de ses coreligionnaires le reprirent aussitôt : il fut comme eux silencieux et grave, passant de longues journées immobiles à se chauffer au soleil, ou bien, perché sur un piton, il regardait vaguement devant lui les nuages courant dans le ciel, le vent soulevant des tourbillons de poussière et les méandres qu'en l'air traçaient les hirondelles chasseresses. Il avait oublié son ancienne vie de garnison, son scepticisme de caserne : il se refit, en un mot, marabout, ne fumant pas, ne buvant plus, faisant régulièrement ses prières et ses ablutions, reprenant toutes ses superstitions d'enfance et ses idées préconçues. (à suivre...)