«Technologie dépassée» ou insouciance criminelle ? Interrogation Pourquoi a-t-on remis en marche une chaudière qu?on disait défectueuse ? «Vas-y, vide ton sac !», lance Abdelaziz Bouteflika en direction d?un employé du complexe visiblement très marqué par la disparition tragique de vingt-trois de ses collègues dans ce qui est désormais «l?enfer 40». «Nous leur avons dit, Monsieur le président, nous leur avons dit de ne pas remettre en marche l?unité 40. Elle représentait, depuis quelque temps, un danger imminent pour les 1 400 travailleurs du complexe», avoue ce chargé de la sécurité les deux mains sur la tête comme si le ciel venait de s?effondrer sur lui, humant, malgré lui, l?odeur de ce tas de ferraille complètement calcinée. Premiers responsables désignés, le directeur, M. Belekhal, hospitalisé après avoir reçu des projectiles à la tête au moment où il tenait une réunion de travail ? ses jours ne sont pas en danger ? et aussi des cadres qui «n'ont jamais pris au sérieux l?avertissement». «Pourquoi a-t-on remis en marche la chaudière qui était défectueuse ( 1972 est la date de son inauguration, Ndlr) alors qu?elle a été mise à l?arrêt en mai dernier en raison de fuites constatées par les services du contrôle qui ont immédiatement averti la direction ?» «Pour récupérer le manque à gagner dans les autres unités, la 30 ou la 50 par exemple, on trouvait tout de suite l?astuce. On remettait en marche la 40. La dernière fois, c?était dimanche dernier lors de la visite du P-DG de Sonatrach. C?était pour amuser la galerie, je pense», assène-t-il dans un long et interminable réquisitoire comme s?il avait la bouche cousue depuis des années. «Vous voulez savoir pourquoi il a explosé ? Eh bien, sachez qu?en dépit des mises en garde, l?unité 40 a été remise en marche avec la précision que sa production est passée au double», ajoute-t-il sur un ton sec. Le président de la République est attentif. Il est tout ouïe. Trêve de motions de soutien et de liesse indescriptible. «Il reste des hommes sous la plate-forme», nous annonce un sapeur-pompier, à la limite de l?asphyxie, comme les 650 autres qui sont venus, avec leur centaine de véhicules, d?horizons divers. «Treize wilayas ont apporté leur contribution, c?est un record !», confirme notre interlocuteur qui avoue avoir «déterré six corps totalement méconnaissables». A l?hôpital de Skikda, la morgue n?a jamais été aussi sollicitée. «C?est la première fois que je vois ce décor», fait remarquer un paramédical. Depuis cette triste «18h 42», Skikda n?est plus ce qu?elle était auparavant. Didouche-Mourad, la principale artère de la ville, est déserte en cette glaciale nuit du 19 janvier qui a vu une boule de feu sur le Tout-Skikda. «Heureusement que les packs n?ont pas été touchés, si cela avait été le cas, personne n?aurait survécu à Skikda et les risques auraient touché un rayon de 40 km», nous disait hier un ingénieur en pétrochimie originaire d?El-Harrouch. Un autre jurait que des amis habitant la localité de Berrahal, à la périphérie de Annaba, «avaient entendu la détonation». Une détonation à 100 km de distance, c?est pratiquement Hiroshima et Nagasaki en miniature !