Il y a des êtres humains qui semblent venir d?une autre planète. Physiquement, ils nous ressemblent. Ils ont une tête, des bras, des jambes, ils parlent, ils sont mariés, ils ont des enfants, ils travaillent. Mais tout cela n?est qu?une apparence. En réalité, ces êtres-là, depuis leur naissance, vivent à côté de nous, en marge, dans un univers parallèle. Et nul ne sait à quoi ressemble cet univers. Ce n?est pas celui des fous. Celui-là, nous le connaissons un peu, car il arrive à des gens normaux d?y faire une incursion de temps en temps. Non, c?est un univers inconnu d?où sort parfois un criminel, par exemple. Mais pas forcément. Un être qui a fait quelque chose d?incompréhensible, de bizarre, de totalement illogique. A cet être-là, nous, c?est-à-dire la société ou la justice, nous demandons : «Mais pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi ?» Et l?autre répond : «Je ne sais pas. Je l?ai fait, c?est tout.» Et c?est là qu?il ne faut pas confondre avec l?univers des fous. La justice sait bien, elle, faire la différence, lorsqu?elle ne reconnaît à ces êtres-là aucune circonstance atténuante. Les experts le savent bien, eux aussi, lorsqu?ils les déclarent parfaitement sains d?esprit. Marjorie D., cinquante ans, une Anglaise, mariée et mère de famille, a commis un crime étonnant, en toute connaissance de cause. Et elle a répondu de ce crime devant la justice anglaise, avec cette seule explication : «Je l?ai fait. C?est tout.» C?est un petit pavillon de la banlieue de Londres. Avec des volets verts, un jardin minuscule, un morceau de gazon et un lapin de céramique au milieu. Dans la cuisine, il y a Marjorie et ses cinq enfants. Le petit déjeuner est servi. L?aîné a quinze ans, le plus petit cinq ans. Ils mangent avec appétit et vont disparaître dans quelques instants pour se rendre qui au collège qui à l?école. Dans la salle de bains, il y a Peter. Le mari et le père de ses enfants. Il fait sa toilette en chantant un air de La Traviata. Peter a cinquante-quatre ans, il est ouvrier spécialisé dans une usine d?aéronautique. Bon salaire et aucun souci matériel. Dans le jardin, il y a le chien, un cocker noir de deux ans. Il dort, le nez entre les pattes. Non loin de lui, un chat angora, aussi blanc que le cocker est noir. C?est un tableau paisible, que les voisins connaissent bien. Marjorie et Peter sont mariés depuis dix-huit ans. Ils habitent ce pavillon depuis quinze ans. Ils n?ont pas de dettes, pas d?ennemis, les enfants sont en bonne santé, ils se disputent normalement, le mari n?est pas buveur, sa femme ne le trompe pas. Bref, rien, absolument rien, ne menace ce petit univers où rien ne cloche apparemment. Nous ne pouvons révéler ni le nom de cette famille ni les détails qui pourraient la faire reconnaître, car ils ont le droit d?oublier, aujourd?hui, ce qui s?est passé ce matin-là. Ce matin-là, un 17 avril, les enfants sont maintenant à l?école, Peter à son travail, le chien dans la cuisine et le chat dans son panier. Marjorie ferme la porte du pavillon. Elle est vêtue d?un imperméable bleu, d?une robe grise, et a mis un foulard sur sa tête. Elle ne porte pas de sac, elle s?en va, les mains dans les poches de son imperméable. Marjorie est une femme de taille moyenne, 1,65 m, de corpulence raisonnable puisqu?un peu mince, 52 kilos. Cheveux châtains courts, nez droit, yeux bleus, menton petit. Elle s?éloigne dans la rue, bordée de petits pavillons semblables au sien. Et elle disparaît. Non seulement au bout de la rue, mais complètement. On ne la reverra plus. Le soir, à dix-huit heures, Peter trouve la maison fermée à clef et les enfants assis dans le jardin en rang d?oignons et affamés. «Où est votre mère ? ? On sait pas. On a demandé à la voisine, elle ne l?a pas vue de la journée.» (à suivre...)