Scène n Les sourcils froncés et le visage marqué d'un gros bleu, Samira, 38 ans, fait son entrée dans un salon de coiffure pour dames. L'accueil qu'on lui réserve la choque, elle se ressaisit. Après une brève hésitation, elle peut toutefois se consoler de pouvoir faire étalage de son «linge sale» à ses amies. Ces dernières sont tout ouïe. En réalité, elles n'attendaient que ça : connaître les raisons qui l'ont amenée à sortir dans cet état. Presque sans gêne aucune, elle se met à «vider son sac». Les faits, raconte-t-elle, remontent à l'avant-veille. Constatant que le dîner n'était pas encore prêt, le mari de Samira, B. Omar, artisan-maçon, visiblement exténué et mort de faim, est pris d'une colère rouge. Il appelle sa femme, mais cette dernière était captivée par le feuilleton turc qui débute chaque soir aux environs de 19h. L'histoire était tellement intéressante et l'intrigue haletante que Samira en a complètement oublié de préparer le repas. Elle n'était pas moins absorbée par cette déferlante turque sur les écrans algériens que le reste des femmes au foyer de tout le pays. Après les déferlantes égyptienne, syrienne, latino-américaine, voici venue la vague turque qui, désormais, balaie tout sur son passage. Un cri strident la tire, enfin, de sa longue rêverie. Son mari l'interroge une dernière fois sur les raisons de ce retard. Après un bref échange de propos pour le moins virulents, le mari bondit sur sa femme, et la roue de coups. La pauvre jeune femme, à terre, se tient le visage et tente, tant bien que mal, de protéger son visage à l'aide de l'oreiller qu'elle tenait sous le bras alors qu'elle pleurait son actrice préférée visiblement soumise à des problèmes. Trop tard, son mari lui avait asséné un coup de poing si violent qu'elle a vu une partie de son visage enfler au bout de quelques secondes. En pleurs, elle prie son mari de la laisser tranquille, lui promettant de lui préparer quelque chose à manger. Avant de prendre congé d'elle, son mari éteint le téléviseur. La suite, Samira se garde bien d'en parler. Le plus dur était déjà passé pour elle. Des scènes comme celle-là, Lynda, la propriétaire du salon, en a déjà entendu raconter des dizaines. Il faut dire que son salon, ouvert il y a de cela six ans, fait office d'un immense boudoir où les clientes se plaignent qui d'un mari violent, qui d'une belle-mère trop possessive tandis que d'autres se plaignent d'enfants qui échappent totalement à leur maîtrise. Dans le tas, Lynda en spectatrice malgré elle, tente de calmer une cliente qui, à force de raconter les frasques invraisemblables de son époux alcoolique et travailleur saisonnier, en a des bouffées de chaleur Au même moment, une troisième l'interpelle pour savoir quand son tour viendra, car il est déjà 11h 10. Tout au long de la journée, Lynda, à défaut de mettre fin à cette invraisemblable bouilloire, prend son mal en patience et tente, avec plus ou moins de difficulté, à «liquider» les têtes qui restent. Ce jour-là, elles n'étaient que cinq à être «intéressées» par la coiffure, six autres pseudo-clientes, n'étaient-là que pour discuter…