Opinion n Mohamed Faci, à la tête de Kinomax, une société de distribution de films, nous livre, dans cet entretien, son expérience dans l'exploitation des salles de cinéma. InfoSoir : Dans quel esprit a été créée votre société de distribution Kinomax ? Mohamed Faci : Notre pays est un formidable champ de développement d'activités économiques de toutes sortes. L'exploitation des films en salles en est une. Les possibilités de croissance sont énormes à la condition que certaines bases soient établies. Ce n'est pas un secteur où l'on fait des bénéfices, c'est un secteur à construire et qui demande du travail à long terme. Voilà ce qui nous a intéressés : travailler au quotidien pour créer et développer une activité. C'est aussi un secteur culturel. Tout, ou presque tout, est à faire pour créer une vraie vie culturelle dans notre pays. Ne pas se limiter à des événements qui touchent deux ou trois cents personnes mais des millions d'Algériens. Du 1er film L'Interprète jusqu'au dernier Maradona by Kusturika, quel est le chemin parcouru ? Comme je vous le disais, certaines bases doivent être établies pour développer le cinéma chez nous. Nous avons commencé en 2005. Quatre ans plus tard, rien n'a changé. Nous avons toujours le même nombre de salles, toutes à Alger, avec le même nombre de spectateurs. Donc, le chemin parcouru est un recul. Vous aviez un projet de ramener Slumdog Millionaire de Dany Boyle et de le distribuer dans les salles... Kinomax s'est intéressée effectivement à ce film depuis juin 2008 pour sa distribution en salles en Algérie. Nous aurions pu en acquérir les droits à ce moment. Mais pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? J'ai décidé de ne pas l'acquérir pour de multiples raisons. En juin j'avais Maradona by Kusturika à sortir. Ce film a immobilisé notre investissement. J'attendais ses recettes pour les réinvestir dans les films suivants, dont Slumdog Millionaire. J'ai d'abord pensé à le sortir au cinéma L''Algéria. Cette salle est très loin d'offrir un minimum de qualités d'accueil et de projection. Elle est pourtant en tête des cinémas d'Alger en terme de fréquentation du public. J'ai décidé alors de programmer notre film à El-Mougar. Cette salle, bien que la meilleure de tout le pays (accueil, propreté, excellente qualité de projection), est très peu fréquentée par le public. Nous avions une copie neuve et je voulais que les cinéphiles algérois puissent en profiter dans des conditions optimales. Seule El-Mougar permet cela. Et puis... Pendant ce temps j'ai attendu notre tour pour pouvoir passer à L'Algéria. J'ai proposé notre film à monsieur Lamarti. Car son passage à L'Algéria nous aurait ouvert la porte vers plus de recettes, suffisantes pour notre équilibre financier, et donc de pouvoir continuer notre activité. J'avais donc en vue Slumdog Millionaire ainsi que d'autres films à sortir. Mais pour des raisons que nous n'avons pu déterminer, le responsable de cette salle n'a pas voulu programmer notre film Maradona by Kusturika. Ceci nous a empêchés d'avoir un minimum de visibilité pour pouvoir investir dans les films suivants, dont Slumdog Millionaire. L'arbitraire d'une seule personne prive les cinéphiles. Le pire est que cette personne ne réalise pas les conséquences de ses agissements alors qu'elle est à la tête d'un organisme public. Pensez-vous ramener Slumdog Millionaire et le distribuer en salles ? Les recettes réalisées par Maradona by Kusturika à El-Mougar n'ont pas atteint le quart de son coût. Cela fait que je ne sortirai pas l'un des films phare de l'année 2009 Slumdog Millionaire (8 Oscars et 4 Goldens Globs). C'est aussi parce que son coût d'acquisition sera beaucoup plus élevé qu'il y a 8 mois. Distribuer un film relève alors d'un pari risqué ? En premier lieu, nous avons les mêmes problèmes que n'importe quelle autre société algérienne face à la lourdeur bureaucratique. Je dois préciser que pour nous, le ministère de la Culture n'a jamais constitué un obstacle dans notre activité. Les douanes algériennes non plus. Dans le cas particulier de la distribution de films, l'obstacle est l'exploitation. C'est-à-dire... A une exception près, les exploitants des salles ne font pas leur travail. Ils ne sont pas intéressés d'attirer le public chez eux. Ce sont des fonctionnaires et leur salaire est assuré même si la salle est vide ou fermée. Voyez l'état sans lequel se trouve le principal cinéma d'Alger. Cela montre qu'il y a un manque de professionnalisme dans la gestion des salles ? Il n'y a pas de réel intérêt pour le cinéma chez certains bureaucrates incompétents. Pour illustrer cette incompétence, il suffit d'imaginer le travail qu'aurait fait un professionnel ayant entre les mains deux salles de cinéma, L'ABC et L'Algéria, récemment rénovées et qui se trouvent à 100 mètres l'une de l'autre en plein centre d'Alger. Il suffit d'aller voir dans quel état elles sont. Dernièrement, j'ai vu la cabine de projection de L'Algéria. Un endroit devenu sale, poussiéreux avec des détritus à même le sol ! En outre, beaucoup de personnes m'ont relaté leurs mauvaises expériences lorsqu'elles y vont pour voir un film. Saleté, mauvais accueil, horaires de projection non respectés, comportements de certains, et même les mauvaises odeurs. Dans ces conditions, les cinéphiles préfèrent rester chez eux. Autrement dit ? Cela est un aperçu de la situation du cinéma dans notre pays. Nous avons très peu de salles. Et le peu qui existe n'est pas géré par des gens réellement motivés par la relance de ce secteur. Il ne s'agit pas d'investir des millions ou des milliards. Il suffit de travailler. L'offre de films existe. Elle est variée grâce à l'existence de distributeurs qui ramènent des films très différents. La nécessité de pouvoir voir chez nous toute sorte de films de tous les pays est évidente. Il me semble vital que tous les distributeurs existants et à venir puissent travailler pour que le public accède au cinéma dans tous ces genres. En commençant, vous avez parié sur l'intelligence et la volonté de bien travailler. Où en êtes-vous aujourd'hui avec ce pari ? Toujours au commencement. Il est vrai qu'il y a de quoi être triste quand on voit un formidable potentiel gâché par l'incompétence et la mauvaise volonté de certaines personnes. C'est un constat que nous faisons après quatre ans d'activité. Mais nous continuons à chercher à bien travailler. Ce n'est pas un pari perdu d'avance. Bien travailler, est l'une des valeurs de notre civilisation. Elle finira bien par gagner ! Comptez-vous encore batailler ? Oui ! Nous n'avons pas pour habitude de baisser les bras. Nous allons encore proposer Maradona en programmation à L'Algéria et nous sommes en train d'élaborer notre programme de films à distribuer les prochains mois. Quel est votre souhait quant à l'exploitation cinématographique ? Retroussons nos manches pour parvenir à avoir plus de professionnels, plus de salles et plus de spectateurs !