Habitude n L'arrivée du printemps est traditionnellement saluée par des rituels dont l'origine remonte souvent très loin dans le temps, comme le jeu de kora (la balle), un «sport» qui pourrait s'apparenter, mais vraiment de loin, au hockey sur gazon. La balle en question, qu'il s'agit de porter au-delà d'une limite déterminée, un peu comme au rugby, est confectionnée à l'aide d'une souche de jujubier de Berbérie, de la famille des rhamnacées, connu localement sous le nom de sedraou de n'bak. Dans les douars, mechtas ou villages montagneux de toute la région milévienne, le premier jour du printemps donne lieu à une grande partie de kora qui occupe, durant toute la matinée, l'ensemble de la communauté, hommes, femmes, jeunes ou moins jeunes, scindés en deux équipes, formées spontanément, sans souci du nombre de joueurs de part et d'autre. Il n'y a ni vraies règles du jeu, ni arbitre, mais comme on n'a pas le droit de toucher la balle avec les mains ou les pieds, chaque joueur doit s'armer d'une crosse, généralement une bonne canne arquée, en olivier, longue d'un mètre et demi environ. La partie de kora se déroule dans une ambiance joyeuse et ne prend fin que lorsque l'une des deux équipes aura réussi «l'essai», valant aux perdants moqueries et quolibets lancés triomphalement par les gagnants qui en tireront des motifs de fierté jusqu'à l'année suivante. Pendant que les coups de crosse se croisent autour de la balle et que l'on s'affronte dans des mêlées épuisantes, les autres joueurs (potentiels) qui auront choisi de se mettre à l'écart de ces chocs périlleux, se contentent de lancer des encouragements ou profitent de cette journée de fête exceptionnelle, attendant patiemment que la balle sorte du «pack». Il arrivait souvent que ce jeu, assez brutal, il faut en convenir, mais comportant surtout des risques certains, fût à l'origine de blessures assez graves occasionnées à des joueurs. Ce n'est plus le cas, heureusement, le côté champêtre du jeu prenant le pas sur les aspects compétition et résultat, qui restent, aujourd'hui, tout à fait anecdotiques. Il n'en demeure pas moins que dans chaque localité, la mémoire collective garde le souvenir de parties mémorables de kora. L'on raconte ainsi la saga de fameux joueurs qui ont laissé leurs empreintes dans les annales de ce jeu, comme ces deux puissants gaillards qui se sont affrontés dans un corps à corps sans issue jusqu'à la tombée de la nuit. A force de se pousser épaule contre épaule, les deux adversaires se sont enfoncés sur place, jusqu'aux genoux dans la terre meuble, mettant à nu, incidemment, une trappe par laquelle l'on accédait à un silo à grains souterrain, dont le repère avait été perdu depuis bien longtemps. Comme l'heureux propriétaire du trésor n'était autre que l'un des protagonistes de ce duel de crosse et de kora, il se déclara unilatéralement vaincu. Et pour fêter l'événement inespéré, il invita l'ensemble de la communauté à faire ripaille autour d'un festin inoubliable. Aujourd'hui, seuls les plus âgés gardent la nostalgie du printemps tel qu'il était fêté par la société rurale quelque peu acculturée par un modernisme envahissant. Une société qui a, malgré tout, gardé des traditions millénaires qui remontent jusqu'aux royaumes des Aguellids numides.