Hervey de Saint-Denys continue le récit de son rêve. Je prends donc le sentier de gauche, je mets pied à terre à l'entrée d'un pont-levis pittoresque et, durant les quelques instants que je dors encore, j'examine très attentivement une infinité de détails grands et petits : voûtes ogivales, pierres sculptées, ferrures à demi rongées, fissures et altérations de la muraille, admirant avec quelle précision minutieuse tout cela se peint aux yeux de mon esprit. Bientôt pourtant, et tandis que je considère la serrure gigantesque d'une vieille porte délabrée, les objets perdent tout à coup leurs couleurs et la netteté de leurs contours, comme les figures du diorama quand le foyer s'éloigne. Je sens que je me réveille. J'ouvre les yeux au monde réel, la clarté de ma vieillesse est la seule qui m'éclaire. Il est trois heures du matin.» Hervey de Saint-Denys explique ainsi ce rêve : «Des actes manifestes de volonté et d'attention me paraissent réunis dans ce rêve. je crois pouvoir affirmer que j'eus mon libre arbitre autant que je l'aurais eu dans la vie réelle, pour choisir véritablement entre les deux chemins qui se présentaient devant moi. Je pris celui de gauche, au bout duquel se montrait un château imaginaire. L'association des idées m'a fourni, dans cette voie choisie par moi, des images aussi précises et aussi variées que celles que m'eût fournies la réalité. J'ai laissé à ma mémoire le soin de faire surgir ces mêmes incidents de la route dont l'imprévu dans la vie de relation eût appartenu au hasard ; mais les images ont surgi dans l'ordre que ma volonté leur avait assigné, et j'ai guidé aussi réellement mon rêve que le dormeur éveillé des Mille et une nuits.»