Interrogation n Pourquoi un tel engouement pour ces auteurs francophones du monde entier ? Cela voudrait-il dire que la littérature française n'a plus d'auteurs pour régénérer son fonds ? Certains, à l'exemple des conservateurs, expliquent cela par l'apport de ces auteurs au rayonnement de la langue française dans le monde, alors que d'autres, par un souci d'ouverture et de rapprochement avec d'autres cultures. C'est le cas de Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008 et jury Renaudot, qui préconise une ouverture sur des auteurs d'origines étrangères en vue d'offrir, «une alternative à certains auteurs français qui tendent à produire, ces dernières années, une littérature nombriliste sans autre objet qu'elle-même». «La littérature française s'est toujours nourrie d'apports extérieurs, et c'est ce qui, précisément, a permis son universalité», réagit Sanson Hervé, chercheur à l'Ehess et à Paris III en littérature maghrébine francophone. Et de poursuivre : «Emile Zola était d'origine italienne par son père, Nathalie Sarraute d'origine russe, Samuel Beckett Irlandais et Eugène Ionesco d'origine roumaine. Pour ne citer que ceux-là.» «Par ailleurs, les écrivains français ne pensent plus forcément en termes de nationalité lorsqu'ils créent ; ils font partie, en effet, d'une «littérature-monde», à l'instar d'Edouard Glissant qui a théorisé cette notion et défend une «politique / poétique de la relation», ajoute-t-il. Interrogé, dans un premier temps, sur les auteurs francophones, Sanson Hervé explique : «Les auteurs francophones tendent à être de plus en plus reconnus sur la scène littéraire parisienne, ce dont on ne peut que se féliciter, même si cela peut donner lieu parfois, hélas !, à des récupérations de toutes sortes.» S'exprimant, dans un deuxième temps, sur les auteurs de l'Hexagone, Sanson Hervé dit : «En ce qui concerne la littérature produite par des hexagonaux, les auteurs faisant parler d'eux ne sont pas forcément les plus novateurs : il existe néanmoins des auteurs qui produisent des œuvres de qualité et qui sont Français. J'en veux pour preuve : Chloé Delaume, Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Jean-Marie Gustave Le Clézio (le dernier prix Nobel de littérature !), Sylvie Germain, Annie Ernaux, François Bon, et j'en passe.» Interpellé ensuite sur l'expression «littérature nombriliste», le critique estime : «Ecrire à partir de soi a toujours constitué une part majeure de la littérature, seul importe à mon sens ce que l'on re-créé à partir du matériau vécu, ce qu'on transpose et la forme que prend cette transposition. Je pense donc que les termes de ce constat sont mal posés ou du moins de façon maladroite : nous pouvons du moins nous réjouir de cette visibilité de plus en plus grande des auteurs étrangers qui écrivent dans la langue française – quelque arrière-pensée y trouverait-on. La France commence à combler son retard sur ce point, comparativement à l'aire anglo-saxonne par exemple, et ce n'est pas un mal.»