Entretien n Abderrahmane Ouatou participe à une exposition collective de photographies qui se tient au musée d'art moderne. Sa dernière exposition remonte à 2003, lors de l'année de l'Algérie en France, à la cité internationale des arts à Paris et à Miramas au sud de la France. Info Soir : Votre travail, au plan technique, est un mélange de plusieurs expressions : photo, peinture et vidéo. Abderrahmane Ouatou : La technique me fascine depuis toujours. J'aime la photographie, la peinture et le cinéma. A une étape de mon parcours, j'ai voulu tenter de nouvelles expériences. C'est ce qui a abouti à ce résultat. Man Ray et Andy Warhol ont déjà utilisé la photo dans la peinture. Ils ont réalisé des films. C'est une expression comme dans le cinéma. Et que racontent vos photos ? Le regard est au centre de mon œuvre. Il y a d'abord mon regard et ce que je regarde. Dans le regard, il y a la vision. Notre œil, grâce à la rétine, nous renvoie une image du monde. Mais le monde n'est ni ce que j'en vois ni ce que j'en pense, mais ce que j'y vis. Et vivre, c'est être présent au monde avec tout son être. L'image de ce qu'on voit et ce qu'on perçoit dépend de notre culture visuelle Quel regard portez-vous sur le réel ? Marcel Proust disait : «Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre les sensations et les souvenirs qui nous entourent simultanément.» Autrement dit : le réel est subjectif du moment qu'il se mêle à un tempérament, à un état d'âme, à une vision et à une réflexion. La photographie capte ma vision de ce réel, un fragment de la réalité. En terminologie, photographie est composé de deux mots : photo qui signifie lumière, et graphie (graphisme) qui signifie dessiner avec la lumière. C'est magique. C'est cette magie qui m'intéresse, tel un jeu d'enfant. Matis disait : «Il faut regarder toute la vie avec les yeux d'un enfant.» Quelle réalité cherchez-vous à capter ? Je ne cherche pas à capter une réalité tel un reporter journaliste. Je ne cours pas après l'événement. Mes sujets se trouvent juste là, autour de moi. Je puise mon inspiration de mon quotidien. J'essaie de capter l'invisible, le banal. Je l'intègre dans une fiction tel un poème. Un proverbe chinois dit : «Une photo vaut mille mots. A quoi bon faire un long discours. L'art est venu pour permettre à l'homme de dire ce qu'il ne peu pas dire avec les mots.» La photographie est-elle l'expression d'un imaginaire ou la traduction de la réalité ? La création commence à la vision. Voir, c'est déjà une opération créatrice, et qui exige un effort. Tout ce que nous voyons, dans la vie courante, subit plus ou moins la déformation qu'engendrent les habitudes acquises, et le fait est, peut-être, plus sensible en une époque comme la nôtre, où cinéma, publicité et magazines nous imposent quotidiennement un flot d'images toutes faites. Toute création est un aboutissement d'un processus où tout se mêle : le subconscient, l'affectif, l'imagination, les années d'apprentissage et le savoir-faire. Tous les sens sont en éveil constant. La photographie est-elle une aventure artistique ou un simple procédé technique ? Dans le processus de création, il y a l'aventure, le risque et la liberté, comme il ne peut pas y avoir un art sans technique. Toutes les formes d'art sont basées sur la technique. Ils étaient à leur naissance de simples procédés techniques et de reproduction du mouvement, mais il y a eu, ensuite, la pensée et la réflexion. l La photo se révèle un contact, une rencontre avec l'autre. «La photo est un médium», dit l'artiste, ajoutant : «L'autre, c'est tout ce qui est derrière l'objectif, l'être et la chose. Ça peut être aussi du vide, du néant !». «La photo est aussi un moment de découverte», reprend-il. Et de poursuivre : «C'est un clin d'œil à ce qu'on voit et à ce qu'on ressent, et elle sert à transmettre une pensée, un sentiment ou une mémoire.» Sont imprimées alors sur la pellicule des images et des impressions. La photo, où se concentre un flux de lumière nécessaire à générer l'énergie créatrice, permet, par ailleurs, de capturer l'instant fugace, de figer l'espace mouvant. En somme, d'immortaliser un vécu, une réalité, physique ou psychique. «La photo permet effectivement de saisir la réalité, de capturer le lieu et l'instant», dit-il, et elle permet, du coup, de les inscrire dans la durée. La photo est un moment d'histoire, d'évocation et de mémoire. Elle est aussi un lieu où la lumière et l'obscurité se rencontrent, s'opposent. «La dualité de l'obscurité et de la lumière m'envoûtait, m'entraînant alors dans les tournoiements de leur éternelle opposition», confie-t-il. Et de conclure : «Le monde est fait de contrastes et d'oppositions et de complémentarités. Le noir et le blanc. Le jour et la nuit. Le chaud et le froid. Le bien et le mal. Le yin et le yang.»