Il était une fois deux frères, dont l'un avait sept filles et l'autre sept garçons. Le père des sept garçons était fort riche : il avait de vastes champs, de nombreux troupeaux, une domesticité abondante, des bijoux et des biens de toute sorte. Le père des sept filles, au contraire, manquait de tout et, comme de surcroît il vint à perdre sa femme, il en arriva à être à la dernière extrémité.. Aussi alla-t-il trouver son frère : — Tu es riche, lui dit-il, tu n'as que des garçons. Pendant que tu vis dans l'abondance, tu vois bien que je suis misérable et que c'est à peine si je pourvois à la subsistance de mes sept filles. Je viens encore de perdre leur mère – et, malgré cela, jamais tu n'as pensé à me venir en aide. L'homme riche jugea que son frère avait raison et eut grand-honte de s'être montré aussi égoïste jusque-là. — II est vrai, dit-il, j'étais trop occupé à accumuler toujours plus de richesses, mais à partir d'aujourd'hui vous recevrez chaque jour, tes filles et toi, votre repas du soir et celui du matin. Il alla aussitôt trouver sa femme et lui recommanda d'envoyer dorénavant à son frère et à ses filles leurs deux repas chaque jour. La femme n'aimait pas spécialement son beau-frère. Aussi le soir, quand elle remit à sa servante les huit repas, lui dit-elle : — Tiens, va porter ça à Tombe-à-Souper. Plusieurs jours plus tard, le pauvre, rencontrant de nouveau son frère, lui dit : — Tu m'as promis de m'envoyer tous les jours deux repas. — Eh bien ? — Eh bien, pourquoi ne me les envoies-tu pas ? Le frère en fut très étonné — J'ai dit à ma femme de te les faire porter chaque jour. — Je n'ai encore rien reçu. L'homme riche rentra chez lui très irrité. — Ne t'ai-je-pas fait une recommandation à propos de mon frère ? demanda-t-il à sa femme. — Oui, et depuis ce jour je l'ai très exactement suivie. — Et comment se fait-il que mon frère n'ait encore rien reçu à ce jour ? On fit venir la servante qui portait les repas chaque jour. — Eh bien, dit-elle, j'ai fait ce que ma maîtresse me disait. — Que te disait-elle ? demanda son maître. — Chaque fois qu'elle me remettait le repas, elle me disait : «Va porter ça à Tombe-à-Souper.» La première fois je n'ai pas très bien compris, puis j'ai pensé que les tombes, c'est au cimetière qu'elles se trouvent. C'est là que je suis allée. J'ai versé la nourriture toujours au même endroit. Je peux vous la montrer si vous voulez. On jugea que la servante avait agi plus par innocence que par méchanceté et on lui pardonna. Dès ce jour, le frère pauvre reçut deux repas chaque jour. Cela leur permettait de ne pas mourir de faim, ses filles et lui, mais ils manquaient toujours de tout.., tant qu'à la fin, las de cette misère, le père décida d'aller chercher fortune à l'étranger. (à suivre...)