Il y a 20 ans, sous les décombres de l'Etat somalien, peu d'observateurs voient poindre la menace de la piraterie et son impact sur la sécurité régionale. Au départ, le phénomène inquiète peu. Tant on s'imagine qu'il ne durera pas. Désormais, cependant, face à l'ampleur du problème, les Nations unies ont déjà adopté pas moins de sept résolutions, dont une qui autorise l'utilisation «de tous les moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée commis en mer». D'après l'Organisation maritime internationale (OMI), 276 actes de piraterie contre des navires ont été signalés en 2010 dans le monde, soit 20% de plus par rapport à l'année précédente. L'Afrique de l'Est se classe au deuxième rang des régions ayant connu le plus d'incidents, juste derrière la région de la mer de Chine méridionale. L'OMI précise que si l'on ne tient compte que des actes de piraterie commis dans les eaux internationales, l'Afrique de l'Est vient largement en tête en 2010. C'est aussi la seule région qui a enregistré des pertes en vies humaines lors des attaques contre des navires. Le nombre de membres d'équipage pris en otages lors de ces incidents s'est élevé à 629, chiffre bien supérieur à celui enregistré dans le reste du monde. Ils ont le plus souvent été libérés après paiement d'une rançon. Les pertes économiques sont astronomiques. L'ONG américaine One Earth Future Foundation estime que les pirates somaliens ont extorqué environ 177 millions de dollars en rançons en 2009 et 238 millions en 2010. L'étude de la fondation estime que si l'on y ajoute l'augmentation des coûts des primes d'assurance, du déroutement des navires, des mesures de sécurité contre les actes de piraterie et de leur impact sur les économies régionales, le montant total des préjudices économiques varierait entre 7 et 12 milliards de dollars par an. Toutefois, certains pirates lient la hausse des actes de piraterie dans la région aux activités illégales des bateaux étrangers au large des côtes somaliennes. Les pêcheurs somaliens se plaignent de ce que ces bateaux mettent en danger leurs moyens de subsistance en pratiquant la surpêche. D'autres estiment aussi que des déchets toxiques sont déversés dans l'océan Indien. «Si la communauté internationale souhaite enrayer les actes de piraterie, elle doit aider les Somaliens à interdire la pêche illégale pratiquée par les étrangers et le déversement des déchets toxiques au large de leurs côtes», analyse le Premier ministre adjoint, Abdulrahman Adan Ibrahim Ibbi. Nécessité d'une action régionale Pour les gouvernements de la région, il est temps de mettre un terme aux actes de piraterie. Le président James Alix Michel des Seychelles estime que la piraterie constitue la menace la plus grave pour les activités de pêche, le commerce et le développement de la région. Selon lui, «le fléau de la piraterie ne gangrène pas seulement nos économies, mais toute la région de l'océan Indien». Il y a quelques mois, les ministres des Transports d'Afrique de l'Est demandaient aux compagnies d'assurance de déconseiller le versement de rançons. D'après le Bureau de l'ONU contre la drogue et le crime, le Kenya, les Seychelles et la région semi-autonome du Puntland en Somalie ont prononcé le plus grand nombre de condamnations pour piraterie dans le monde. En avril 2011, le Kenya et les Seychelles détenaient 177 pirates. Pourtant, les pays de la région ne disposent que de très maigres ressources. «Nous assumons plus que notre part de responsabilité», souligne le Président Michel. «La piraterie exploite les faiblesses de la gouvernance mondiale. Ce fléau n'existe pas seulement à cause de la situation catastrophique en Somalie, mais aussi à cause de la passivité de la communauté internationale.» Andrew J. Shapiro, secrétaire d'Etat adjoint américain aux affaires politiques et militaires, reconnaît que les pays africains ont besoin d'une aide accrue. «Les poursuites judiciaires contre les pirates peuvent s'avérer un véritable casse-tête dans le monde globalisé d'aujourd'hui», note-t-il. M. Shapiro estime que le fardeau assumé à l'heure actuelle par ces pays devrait être partagé plus équitablement par les Etats de la région victimes des actes de piraterie et d'autres Etats. «Les conséquences de ces crimes touchent tout le monde. C'est pourquoi le coût de la lutte pour l'élimination de ce fléau devrait être assumé par tout le monde également», dira-t-il. La solution est dans l'origine du problème Le Kenya et les Seychelles ont signé des accords avec l'Union européenne (UE) et les Etats-Unis pour juger chez eux les pirates somaliens capturés ailleurs en échange d'une aide financière et sécuritaire. L'UE, les Etats-Unis et d'autres pays ont également intensifié leurs opérations navales anti-piraterie. Celles-ci incluent la Force opérationnelle combinée sous commandement américain et la Force navale Somalie de l'Union européenne. Un groupe de contact sur la piraterie au large des côtes de la Somalie a été constitué pour renforcer la coordination de ces actions et d'autres initiatives. Le groupe réunit une soixantaine de pays, ainsi que l'ONU, l'OMI, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) et l'Union africaine. En fin de compte, quelles que soient les mesures adoptées pour enrayer la piraterie au large de la Somalie, les solutions durables devront s'attaquer à l'origine du problème, à savoir l'instabilité politique et la persistance de l'état de guerre à l'intérieur de la Somalie. «On ne peut pas espérer aborder sérieusement le problème de la piraterie s'il n'y a pas de changements sur le terrain en Somalie», affirme Roger Middleton, spécialiste des questions maritimes au Chatham House, un centre d'étude et d'analyse à Londres. «Ce problème n'a pas commencé en haute mer et ne sera pas résolu en haute mer», soutient-il. Les dirigeants politiques de la région partagent cet avis. «La solution à la piraterie sur l'océan est d'avoir un gouvernement stable en Somalie», conclut le président ougandais Yoweri Museveni. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU