Le socle des traditions sublimées par la modernité, la grâce de la féminité, la puissance athlétique de la virilité, la célébration de son identité et de son humanité, étaient au menu des quatre spectacles programmés pour la troisième soirée du Festival international de danse contemporaine d'Alger. La Côte d'Ivoire ouvre le bal de la soirée avec le spectacle de la compagnie Tchètchè (aigle). Sur scène la chorégraphe-danseuse Nina Kipré, accompagnée des danseuses Landry Louoba, Désirée Koffi et du musicien Aboubakar Bomou Bassa, séduit le nombreux public présent au TNA. Sur scène, c'est l'esprit des ancêtres qui est invoqué afin de puiser la sève salvatrice pour s'envoler vers la modernité. Incluant la tradition du griot, représenté par le musicien sur scène, et les différentes déclamations, le spectacle en plusieurs tableaux qu'offrent les trois danseuses ivoiriennes est émouvant. Avec énergie et tout en finesse, les différentes techniques d'expression corporelle ainsi que la mise en scène des différentes situations dramaturgiques, déclament la tragédie de l'individu, mais aussi de tout un peuple qui transcende sa douleur et sa peine en énergie créatrice, véritable symbiose entre tradition et contemporanéité, pour s'envoler majestueusement dans les airs tel un aigle. Le public algérien a chaleureusement applaudi la troupe ivoirienne. Nina Kipré confie, en marge de la représentation, que le spectacle est en hommage à l'esprit de la chorégraphe Kombé Béatrice, fondatrice de la compagnie décédée en 2007. «Il s'agit aussi de transmettre l'esprit de l'espoir car il est important de dire qu'il y a en nous un esprit de pardon, de réconciliation et de combativité pour affronter la vie et ne pas baisser les bras quels que soient les problèmes qui puissent arriver. C'est aussi l'esprit de l'unité. Il s'agit d'unir nos forces pour affronter l'adversité et pouvoir nous reconstruire ensemble», dira-t-elle. L'Argentine est le deuxième pays à rencontrer le public avec une prestation intitulée Trois temps présentée par la troupe El Escot, mise en scène par la chorégraphe Roxana Grinstein. Dans un registre plus poétique et une gestuelle fortement inspirée de la danse classique, à qui la chorégraphe a emprunté plusieurs figures, la troupe a offert une ode à l'humain à travers l'expression du temps qui passe. Telles des nymphes dans leurs robes bleu turquoise vaporeuse virevoltant dans les airs à chacun de leur mouvement, les danseuses ont imagé le temps du temps qui court. Auréolées par un cercle de lumière, elles illustrent le cycle de la vie humaine où chacun court derrière le temps qui s'enfuit sans pouvoir le rattraper. Le danseur représente l'impuissance de l'individu face à son destin inéluctable. Face aux mouvements des danseuses, il est cloué dans la même position avec des mouvements parfois lents parfois un peu plus rapides, tels un écho aux différents passages de la vie. Au final, le rythme devient de plus en plus lent jusqu'au dernier souffle de l'être et alors les corps se crispent et le mouvement perpétuel de la vie s'arrête brusquement tel un songe. La deuxième partie de la soirée a été marquée par la prestation des jeunes de la troupe Essalem de Sidi Bel Abbès. Sur une chorégraphie de Djamel Djabar, directeur de l'association culturelle Sidi Bel Abbès, ils ont livré un spectacle, Les rêves des bergers, où la puissance et la virilité s'expriment dans une chorégraphie inspirée des arts martiaux. C'est l'histoire de deux bergers qui, dans leur sommeil, rêvent de leur patrie, l'Algérie, et du combat de leurs aïeux pour que puisse enfin flotter librement l'emblème national. La patrie était symbolisée par la combativité de l'être face à l'adversité quel que soit sa nature. Ce qui a été déployé dans plusieurs tableaux. Pour le final, les spectateurs ont eu droit au spectacle intitulé Le trait, extrait de la pièce le Cercle de la chorégraphe algérienne établie en France Nacéra Belazza. Dans un registre où la parfaite maîtrise de la technicité était de mise, les deux danseurs ont dérouté le public par leurs mouvements hypnotiques, répétitifs, ou en sautillant sur place tels les pulsations de la musique électro qui les accompagnait. Le rythme monte crescendo et le mouvement avec. Peu à peu, la musique saccadée, presque dérangeante, laisse la place aux rythmes des tamtams africains. Les corps se libèrent dans des mouvements énergiques et désarticulés. Les deux corps partent dans tous les sens avec une parfaite maîtrise du geste et du mouvement. C'est une danse à l'état pur, loin de tout esthétisme séducteur. Une véritable prouesse technique déroutante pour certain mais chaleureusement applaudie par la majorité des présents qui ont découvert une autre facette de la danse contemporaine, où le corps ne cherche plus à séduire mais juste à exprimer un état d'âme et les tréfonds de l'être dans l'infinité de l'espace. S. B.