Un appel à l'abolition de la peine de mort en Algérie, a été lancé, hier, par des militants des droits de l'Homme, car, disent-ils, elle est loin d'être dissuasive pour les potentiels criminels. «Plus de 50 pays dans le monde ont aboli la peine de mort, il est inconcevable que l'Algérie ne suive pas ce chemin», a indiqué dans ce sens le président de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'Homme (Cncppdh), Farouk Ksentini, lors d'une intervention, arguant que «les solutions existent, notamment la peine incompressible qui condamne un accusé à la perpétuité». «L'essentiel est que l'Etat n'a pas vocation à tuer, tout comme la justice», a martelé le président de la Cncppdh. Pour étayer ses dires, Me Ksentini a, lors d'une conférence régionale tenue hier à l'hôtel Hilton, sous le thème : «La peine de mort. Perspective régionale arabe : positions des institutions de la société civile», affirmé que 140 à 150 condamnations à la peine capitale sont prononcées par le tribunal criminel chaque année, en relevant la précipitation avec laquelle sont prononcées les peines de mort. Est-il concevable qu'un tribunal criminel puisse prononcer une peine capitale, alors qu'il y a 4 ou 5 affaires programmées le même jour ? S'est interrogé le président de la Cncppdh, avant de rappeler qu'en Europe une affaire de ce genre prend 2 jours, pour l'examen des preuves et le rendu du verdict. Il citera, dans ce cadre, un témoignage d'une affaire qu'il avait traité, où son mandant était accusé de meurtre sur la personne de sa femme. En dépit de son état de «démence totale» l'accusé a été déclaré «sain d'esprit» par le médecin désigné à cet effet, au bout d'un examen de 10 minutes seulement, a-t-il déclaré. Bien qu'ayant demandé une contre-expertise, aussi bien à la chambre d'accusation qu'au tribunal criminel, celle-ci a été rejetée. Cet appel trouvera écho, notamment auprès de Boudjemaâ Ghechir, qui, en sa qualité de président de la Ligue algérienne des droits de l'Homme (Ladh), tout en se défendant de vouloir chercher des prétextes pour les criminels, a plaidé pour un moratoire sur la peine de mort, dans l'attente de l'aboutissement du débat contradictoire entre partisans et opposants de la peine capitale, en référence à la polémique engagée autour de l'application de la peine capitale suite notamment à l'affaire de kidnapping suivie de l'assassinat des enfants Haroun et Ibrahim, à Constantine. Selon lui, le plus grand défi, consiste à trancher le débat du côté religieux surtout où l'on estime que le châtiment équivaut systématiquement à la peine de mort, alors que c'est aux ayant droits de décider entre indemnisation ou châtiment. En tout cas, «ni le dispositif juridique, ni la société ne peuvent être justes en prononçant la peine de mort», dira-t-il. Miloud Brahimi, l'ancien président de la Ligue des droits de l'Homme, qui s'est dit naturellement abolitionniste, a indiqué que les arguments qui pèsent en faveur de cette position sont, entre autres, «l'erreur judiciaire» et «le problème de l'exemplarité de la peine capitale», en ce sens, qu' «elle n'en a pas et ne dissuade pas non plus les potentiels criminels». Il devait citer les appels à l'abolition de la peine de mort. D'abord, l'appel d'Albert Camus en juin 1957 en pleine Guerre de libération nationale, puis celui de Ali Haroun, qui l'a proposé en 1964 devant l'Assemblée nationale, et, avant lui, Zohra Drif Bitat en 1963. Mais, Ben Bella l'avait refusé pour des raisons politiques a-t-il dit, avant de citer la proposition de l'ancien parlementaire de l'opposition Ali Brahimi, qui avait introduit une proposition de loi à l'APN, à deux reprises, en 2004 et 2005. En rappelant que la France est le dernier pays à avoir aboli la peine de mort, sous Mitterrand, l'orateur releva la contradiction, alors que le même responsable avait exécuté des dizaines d'Algériens durant la colonisation française de l'Algérie. En ce qui le concerne, Miloud Brahimi, a relevé que L'Algérie a cessé d'appliquer la peine de mort depuis 1993, au moment même où les crimes les plus abominables, dont des massacres de bébés, étaient commis, et que absolument personne ne s'est élevé contre ce moratoire, ni démocrates ni islamistes; c'est à l'honneur des Algériens. Si cela eut lieu pendant la décennie noire, quel argument a-t-on, aujourd'hui pour le retour à la peine de mort ? La Jordanie et Djibouti sont les seuls pays arabes à avoir adhéré à la convention de Rome instituant la Cour pénale internationale, a rappelé Me Brahimi, avant d'affirmer qu'il milite, avec Me Ksentini, pour l'adhésion de l'Algérie à cette convention pour qu'elle se mette aux standards internationaux. Si sur le plan interne, la tendance n'est pas à l'optimisme, à l'international par contre, certains pays comme la Turquie et la Pologne ont été sommés d'abolir la peine de mort comme condition sine qua non pour leur adhésion à l'UE. Aussi, il s'en trouvera bien un jour, une institution qui l'imposera à Algérie, a-t-il dit, en rêvant tout haut que l'Algérie soit le premier pays arabe à abolir la peine de mort. Raphaël Chenuil-Hazan, le vice-président de la coalition mondiale contre la peine de mort, directeur de la l'association française «Ensemble contre la peine de mort», avant lui, à récusé le principe de l'exemplarité de la peine capitale, affirmant qu'elle n'a été dissuasive nulle part, parce que le criminel est souvent impulsif. L'institution de la peine capitale répond au désir d'assouvir une pulsion, à savoir la vengeance, a-t-il estimé, en mettant l'accent sur le rôle de la société civile pour forger une opinion abolitionniste. «Tuer ne garantit pas la justice», a enchaîné, pour sa part, Haythame Shibli, directeur de recherche et de communication de Penal Reform International/Mena, qui récusera la relation systématique de la société sur la peine capitale. «Il n'est pas dans notre propos de justifier les crimes, mais, on ne peut opposer le crime au crime, surtout, a-t-il souligné, que 8% des condamnés à la peine de mort sont déclarés innocents, après leur exécution.» «Aussi, ne peut-être juste la société qui ôte la vie à des personnes, mais en les réhabilitant, surtout que certains s'avèrent des malades et nécessitent des soins», a-t-il indiqué, avant d'ajouter que «tuer au nom de la société, représente l'échec de cette même société». A. R.