C'est une nouvelle étape qui vient d'être franchie dans l'escalade de «la guerre contre le terrorisme» en Egypte et dans la volonté du gouvernement de criminaliser et d'écraser les Frères musulmans. Tôt dans la matinée du mardi 24 décembre, une voiture piégée a explosé devant le siège de la sécurité d'Etat dans la ville de Mansourah, située dans le Delta (à une centaine de kilomètres du Caire), faisant une douzaine de morts et une centaine de blessés. Dans les heures qui ont suivi, et avant la moindre enquête, le Premier ministre Hazem El-Beblawi qualifiait les Frères musulmans de «groupe terroriste». Et le 25 décembre, le gouvernement classait la confrérie comme «organisation terroriste». Le ministre de l'Intérieur, Mohammed Ibrahim, le même homme qui sévissait au même poste sous la présidence de Mohammed Morsi, a déclaré que cette attaque était «une riposte» des Frères à la violente dispersion par les forces de l'ordre des deux campements installés par eux dans la capitale et qui avait fait des centaines de morts le 14 août dernier. Comment le sait-il ? Mystère. Et qu'importe si les Frères ont condamné immédiatement l'attentat ou que l'organisation Ansar Beit-Al Maqdes, un groupe djihadiste opérant pour l'essentiel dans la péninsule du Sinaï, ait revendiqué l'attaque. Car, si la situation sécuritaire s'est détériorée dans l'ensemble de l'Egypte, les Frères musulmans ont toujours condamné l'usage du terrorisme. Il est clair que le pouvoir a décidé, depuis des mois déjà, d'en finir avec eux, au risque de pousser délibérément le pays dans la guerre civile et le terrorisme. Plusieurs milliers de Frères sont en prison, souvent maltraités, parfois torturés. Une étape avait déjà été franchie avec l'ouverture d'une instruction par le procureur général contre la confrérie, qu'il accuse «d'avoir collaboré avec des organisations étrangères pour commettre des actes terroristes, d'avoir révélé des secrets militaires à une puissance étrangère, d'avoir financé des groupes terroristes et un entraînement militaire pour répondre aux objectifs de l'Internationale des Frères musulmans». Il lui est aussi reproché d'avoir «conspiré» avec le Hamas et le Hezbollah en vue de commettre des attentats. On ne compte plus les accusations fantaisistes contre les Frères, depuis celle d'avoir voulu vendre une partie du Sinaï aux Palestiniens jusqu'à celle d'avoir eux-mêmes tiré sur les manifestants de janvier-février 2011 ! Et les médias aux ordres relaient ces affabulations avec le plus grand sérieux. Parallèlement, dans le Sinaï, c'est une guerre que mène l'armée, non seulement contre les terroristes, mais contre l'ensemble de la population, avec représailles et punitions collectives contre les civils à la clé. Cette répression se fait avec l'appui des Etats-Unis et d'Israël, pour qui l'armée égyptienne - et son chef, le général Abdel Fatah Al-Sissi -, représente un allié précieux. Comme le notait l'éditorial du New York Times du 22 décembre, «Dark days in Egypt» : «Parce que les Etats-Unis considèrent l'Egypte comme un élément crucial de la stabilité régionale et en raison du traité de paix avec Israël, le comité des relations étrangères du Sénat a approuvé une législation rendant plus facile la reprise de l'aide, qui a été en grande partie suspendue après la déposition de Morsi. Les généraux interpréteront sûrement cette décision comme un aval donné à leurs méthodes autoritaires.» Ceux qui espéraient que le pouvoir s'en tiendrait à la répression des Frères se sont trompés. Celle-ci frappe désormais les figures emblématiques de la révolution de janvier-février 2011. Une loi liberticide a été adoptée par le gouvernement qui interdit dans les faits toute manifestation. Pour avoir refusé de s'y plier, Ahmed Douma, Mohamed Adel et Ahmed Maher, du mouvement du 6 avril, une des organisations à l'origine de la révolte contre Hosni Moubarak, ont été condamnés à trois ans de travaux forcés. Le 23 décembre, plusieurs centaines d'Egyptiens ont défilé pour protester contre cette sentence et contre l'arrestation d'autres militants, dont Alaa Abdel Fattah. Dans le même temps, la répression s'est intensifiée dans les universités où la contestation, au départ essentiellement animée par les Frères musulmans, s'est élargie à d'autres organisations qui refusent les ingérences de plus en plus importantes des forces de sécurité sur les campus. Tout cela était prévisible, inscrit dans l'alliance contre nature entre les forces de l'ancien régime et celles de l'opposition, qui a suivi les manifestations du 30 juin 2013. Depuis, un certain nombre de mouvements et de personnes se sont ressaisis. Mohammed El-Baradei, un court moment vice-président, a démissionné pour protester contre la répression. Il a aussitôt été accusé par les médias d'être un des représentants de la cinquième colonne des Frères ! Le président du club des juges, Ahmed Zind, a même affirmé qu'il était derrière l'attentat de Mansourah. Les 14 et 15 janvier, les Egyptiens voteront pour la nouvelle Constitution qui, si elle comporte quelques améliorations par rapport à l'ancienne, installe l'armée au-dessus de toutes les institutions. Il est peu probable que le vote changera quoi que ce soit à «la guerre contre la terreur» déclenchée par l'armée égyptienne, qui ressemble de plus en plus à celle lancée par son homologue algérienne au début des années 1990. On ne peut que regretter, dans ce contexte, que le sectarisme des Frères musulmans, leur refus de la moindre autocritique sur la manière dont Mohammed Morsi a conduit sa présidence, la violence exercée par leurs milices, ne facilitent pas la tâche de ceux qui s'opposent au retour de l'ancien régime. A. G. In les blogs du diplo