Lors de leur sommet à Bruxelles, le 28 janvier prochain, la Russie et l'UE évoqueront l'application du troisième paquet de libéralisation du marché de l'énergie, dit «troisième paquet énergie», ainsi que l'enquête anti-monopole menée par la Commission européenne contre Gazprom, ont annoncé vendredi dernier des officiels russes. Lors des négociations, les deux parties envisagent d'évoquer l'application discriminatoire du troisième paquet énergie à l'égard des sociétés russes participant à la construction du gazoduc South Stream, ainsi qu'une série d'autres problèmes en suspens, notamment les tentatives répétées de l'UE d'imposer la construction d'un gazoduc transcaspien malgré les risques écologiques et l'absence de consensus parmi les Etats riverains de la mer Caspienne, ainsi que l'enquête injuste menée par la Commission européenne contre Gazprom, relèvent les Russes. Le troisième paquet de libéralisation du marché de l'énergie, appelé de manière officieuse «troisième paquet énergie», comprend six actes législatifs limitant le droit des producteurs d'énergie de posséder et de gérer les réseaux de transport d'énergie. Il consacre également le principe de séparation des activités de production et de transport d'énergie. Toute compagnie étrangère qui ne respecte pas ce principe pourrait se voir interdire le marché de l'UE. En décembre dernier, la Commission européenne a adressé une lettre officielle au ministère russe de l'Energie, soulignant la nécessité de réviser les accords conclus avec les pays transitaires qui doivent accueillir le gazoduc South Stream. La Commission a notamment fait savoir que les accords bilatéraux conclus par la Russie dans le cadre du projet South Stream avec l'Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, la Grèce, la Slovénie, la Croatie et la Serbie violaient la législation de l'UE. Cette accusation s'appuie sur la thèse selon laquelle le groupe Gazprom -principal actionnaire du projet South Stream- est à la fois un producteur d'énergie et un copropriétaire de ce gazoduc. Depuis septembre 2012, la Commission européenne mène une enquête sur trois violations éventuelles de la législation de l'UE par Gazprom. Cette enquête concerne notamment les opérations de Gazprom sur les marchés de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Bulgarie. La Commission soupçonne Gazprom «d'entraver la concurrence sur les marchés du gaz en Europe centrale et orientale», d'avoir empêché la diversification de l'approvisionnement en gaz dans ces pays et d'imposer à ses clients des prix du gaz injustifiés en les liant aux prix du pétrole. Malgré ces reproches, la Russie se dit prête à approfondir la coopération avec l'UE au point de créer à l'avenir un complexe énergétique unique en Europe. Le marché européen, même s'il est considéré comme un «espace naturel» pour les sociétés russes qui y investissent énormément, paraissait ces dernières années comme une zone difficilement accessible et cela n'est pas sans conséquences sur les entreprises russes. Gazprom, par exemple, envisage d'exporter en 2014 vers l'Europe 150 à 155 milliards de m3 de gaz, soit 4 à 7% de moins qu'en 2013. «En ce qui concerne nos exportations en 2014, nous les voyons se rapprocher du niveau de 2013, soit 150 à 155 milliards de m3. En 2013, nos exportations ont augmenté suite à la chute de la production dans les pays européens, à la réduction des fournitures de GNL et à la baisse des livraisons de gaz naturel en provenance d'Algérie», relève la société. En 2013, les exportations de Gazprom vers l'Europe ont augmenté de 16% pour atteindre 161,48 milliards de m3, le prix moyen du gaz étant de 380 dollars les 1 000 m3. Sur un autre plan, le secteur européen de l'énergie reste délaissé en Bourse. Est-ce conjoncturel ? Des investisseurs s'interrogent sur la pérennité des dividendes et les cours du pétrole. Toutefois, ils sont prêts à rebondir sur fond de début de baisse des investissements et d'un redressement des cash-flows. L'optimisme grandissant des investisseurs en faveur d'une accélération de la croissance mondiale pourrait également profiter au secteur de l‘énergie, l'amélioration de la situation économique soutenant les cours du pétrole et dopant les bénéfices des entreprises. Ces raisons incitent de plus en plus de gérants de fonds, comme chez ING IM ou Société générale private banking, à inclure les groupes de ce secteur dans leur liste de valeurs favorites. L'indice Msci du secteur européen de l'énergie a sous-performé celui regroupant les différentes valeurs de la région sur la période 2012-2013, avec des gains respectifs de 5% et plus de 40%, pénalisé par les craintes d'une baisse des dividendes liée à une diminution des cash-flows et de coûteux investissements. Mais, dernièrement, les investisseurs ont mis la pression sur les groupes pétroliers pour qu'ils augmentent le retour aux actionnaires et plusieurs entreprises ont répondu favorablement à la demande du marché, préparant ainsi le terrain à un rebond en Bourse. Le secteur de l'énergie reste profondément peu apprécié par les grands fonds internationaux, mais nous commençons maintenant à voir un certain intérêt. Cela suggère que l'on a peut-être passé le point bas en termes de pessimisme des investisseurs sur le secteur, estime Robert Parkes, stratégiste chez Hsbc. BP a progressé de 9% depuis l'annonce fin octobre d'un relèvement de son dividende. Total a suscité un regain d'intérêt après avoir confirmé en septembre qu'il prévoyait une baisse de ses investissements dès 2014 pour entrer dans une phase de croissance de sa production et de son flux de trésorerie disponible. La décote du secteur par rapport à l'ensemble du marché devrait disparaître, considère Nicolas Simar, gérant de fonds chez ING IM. Les investisseurs ont tellement délaissé le secteur de l'énergie ces deux dernières années que leur ratio cours sur valeur comptable (price-to-book) fait ressortir une décote record par rapport au reste du marché. Quand on regarde ses niveaux de valorisation par rapport à l'ensemble du marché, le secteur pétrolier se négocie à un ratio le plus bas depuis près de 10 ans, souligne Claudia Panseri, stratégiste actions chez Société générale private banking, cité par Reuters. La faiblesse des ratios de valorisation, ainsi que les dividendes attrayants qui sont maintenant plus sûrs, devraient alimenter le rebond. L'amélioration des cash-flows permet de dissiper les craintes entourant la pérennité des dividendes, indiquent les gérants, et les investisseurs en quête de rendement devraient revenir rapidement sur le secteur de l'énergie, qui offre un rendement du dividende de 4,5% contre 3,2% pour l'ensemble du marché et 1,7% pour l'emprunt d'Etat allemand à 10 ans. Y. S.