Malik Boumati La médiocrité a la peau dure en Algérie. Malgré un retour encore timide de la culture de qualité, la piètre qualité des activités culturelles et artistiques reste de mise dans notre pays et il n'y a aucune raison que la wilaya de Tizi Ouzou soit épargnée. Une certaine prise de conscience est cependant constatée depuis quelques années, notamment auprès des jeunes qui commencent à s'intéresser sérieusement aux œuvres culturelles et artistiques de qualité. Quand on voit que les fans des artistes comme Ali Amran, Cheikh Sidi Bémol, Karim Yeddou et Akli. D sont majoritairement des jeunes, l'on se dit qu'il y a encore de l'espoir de voir l'art de qualité supplanter la médiocrité ambiante. Ce ne sera cependant pas chose aisée. Lors d'une conférence de presse qu'il a animée en juin dernier, Ali Amran qui présentait son dernier album Tizi n Leryah, a évoqué la source du déclin de la qualité dans la chanson kabyle. «La chanson légère et festive a toujours existé, mais elle s'est imposée ces 20 dernières années en l'absence d'un nombre appréciable de chanteurs à texte», a-t-il indiqué rappelant que durant la décennie quatre-vingt un nombre appréciable de chanteurs à texte et d'auteurs de belles partitions avaient empêché les chansons médiocres de s'imposer sur la scène artistique. Pour lui, durant les années quatre-vingt-dix, les artistes se faisaient très discrets quand ils n'avaient pas quitté le territoire national et la place a été abandonnée au profit de jeunes qui produisaient de la quantité au détriment de la qualité. «Il faut plus d'artistes à texte et de produits musicaux de haute facture pour que la chanson médiocre retrouve sa place de chanson occasionnelle et marginale», a-t-il ajouté non sans reconnaître que la marche vers la qualité sera laborieuse. Elle sera laborieuse tant qu'une majorité dans le public n'arrive pas à constituer un rempart solide à la médiocrité dans la chanson, mais aussi dans toutes les disciplines culturelles et artistiques, car des artistes produisant des œuvres de qualité ne peuvent pas apporter quelque chose à l'art et la culture sans un public qui les soutienne. Parce que c'est ce public qui amènera les éditeurs à fournir un effort sérieux en direction des artistes refusant de tomber dans la facilité des produits culturels et artistiques médiocres. Et, souvent dans ce cas, c'est l'école qui est pointée du doigt dans la mesure où elle a complètement abandonné l'éducation artistique des enfants à la faveur d'une politique éducative basée beaucoup plus sur l'idéologie que sur la pédagogie. Et ce n'est pas un hasard si un élève de deuxième année primaire, par exemple, «bénéficie» de deux séances hebdomadaires d'éducation islamique alors que son programme scolaire ne comporte aucune séance d'éducation artistique. C'est cette même école qui n'arrive toujours pas à intégrer le livre et la lecture dans ses programmes on ne sait pour quelle raison, et ce, malgré une convention signée, il y a quelques années, entre les ministères de l'Education nationale et de la Culture rendant obligatoire la lecture à l'école d'au moins quatre livres par année. La médiocrité dans la culture et l'art vient également de l'omniprésence de l'Etat dans la création, la programmation et l'organisation des activités culturelles. Le tout-Etat peut tuer l'art et la culture. A la faveur de l'embellie financière que l'Algérie a connue depuis le début de la décennie 2000, les pouvoirs publics ont mis le paquet dans le secteur de la culture et beaucoup parmi les artistes et les hommes de culture ont cru que l'Etat se réappropriait l'activité culturelle pour mieux la libérer au profit de la société et du mouvement associatif. Force est de constater que l'on va vers le contrôle total par l'Etat des activités culturelles. «Rien ne peut se faire sans l'Etat ou ses démembrements locaux», regrette le président d'une association estimant que «les responsables de l'Etat n'ont pas encore compris que tant que la culture, particulièrement le théâtre, n'est pas libérée au profit de la société, la médiocrité persistera malgré les milliards dépensés». Il est pourtant aisé de déceler une arrière-pensée politique derrière cette volonté de verrouiller l'action culturelle, les pouvoirs publics ayant «peur» d'une trop grande liberté pour les animateurs associatifs et culturels. Mais cette crainte ne doit pas faire oublier que «sans la liberté, il ne peut y avoir une création digne de ce nom». Et qu'on le veuille ou non, la création artistique de qualité reste, et pas seulement dans notre pays, incompatible avec les institutions de l'Etat. M. B.